Le glaciologue grenoblois Claude Lorius récompensé

Le glaciologue grenoblois Claude Lorius récompensé

Le glaciologue grenoblois Claude Lorius, 76 ans, doit recevoir mercredi à Tokyo le prix "Blue Planet". Originaire d’une famille de six enfants, Claude Lorius, dont le père était fromager à Besançon, va décrocher un doctorat de physique tout en participant à une vingtaine d’expéditions polaires essentiellement en Antarctique. A la fin des années 60, il rentre au CNRS de Paris où il devient chercheur. Avant d’être nommé à Grenoble où il rejoint le laboratoire d’études sur les glaciers alpins. Un laboratoire qu’il dirigera de 1983 à 1988. On lui doit notamment de nombreuses découvertes scientifiques sur la présence de plomb dans les neiges du Groenland ou les retombées nucléaires en Antarctique. Ce qui lui vaudra la médaille d’or du CNRS en 2002. Mais il donne également de nombreuses conférences dans le monde entier. Et il a publié plusieurs ouvrages, notamment “Antarctique, continent de l’extrême”.
Très sportif, ce père de trois enfants est un passionné de ski, de tennis et de football. Mais aussi de musique. Ouvert, d’une extrême gentillesse, Claude Lorius s’exprime clairement, toujours soucieux d’être bien compris. Mais on sent chez ce personnage qui a beaucoup d’humour une grande modestie, même s’il ne se fait plus beaucoup d’illusion sur l’avenir de la planète. D'où son interview très pessimiste publiée dans Lyon Mag en novembre 2007.

“On a attendu trop longtemps avant d’agir”

La première fois que vous êtes allé en Antarctique ?
Claude Lorius : En 1955, alors que je venais d’obtenir mon diplôme d’études supérieures de physique, j’ai répondu à une petite annonce à la fac de Besançon qui recherchait de jeunes chercheurs pour participer aux campagnes organisées pour l’Année géophysique internationale. J’ai été sélectionné. Et je suis alors parti avec deux autres chercheurs en terre Adélie, en Antarctique, dans une petite base isolée. Notre mission était de recueillir des données sur l’épaisseur de glace, les tombées de neige... A l’époque, on ne savait pratiquement rien sur cette région du monde !
Qu’est-ce que vous avez découvert ?
En fait, à l’époque j’avais 23 ans et j’étais parti pour vivre une aventure. Pas forcément pour faire des découvertes scientifiques. Ce n’est que dix ans plus tard que j’ai fait mes premières grandes découvertes, toujours en terre Adélie. J’étais parti pour faire des prélèvements de glace. Et j’avais l’intuition que l’air qui était prisonnier depuis des milliers d’années dans la glace pouvait donner des indications sur la composition de l’air à cette époque ! Le problème, c’est qu’au début des années 1970 la glaciologie était une science nouvelle. Du coup, l’Etat français ne voulait pas financer mes recherches.
Comment vous avez poursuivi vos recherches ?
En 1974, je suis allé dans une station de recherche permanente en Antarctique, où travaillaient ensemble en pleine guerre froide des Américains, des Anglais, des Australiens et des Russes. C’était extraordinaire.  On a donc sorti des carottes de glace qui dataient de 35 000 ans, ce qui nous a permis d’analyser l’air qu’elles contenaient.
Ce que vous avez découvert ?
On a découvert qu’il y a plus de 35 000 ans,  à une époque qu’on appelle la période froide, il y avait beaucoup moins de méthane et de dioxyde de carbone dans l’air qu’aujourd’hui. Ce qui nous a permis d’établir que plus on émet de gaz à effet de serre, plus la terre se réchauffe. Ce qui démontrait que le réchauffement climatique avait déjà commencé et que ça allait s’aggraver. Du coup, on a alerté la communauté scientifique et les politiques.
Et vous avez été écoutés ?
Oui, car à l’époque, on a été les premiers à annoncer le réchauffement climatique. On a d’ailleurs publié beaucoup d’articles. Et on a même fait beaucoup de télé grâce à Paul-Emile Victor qui travaillait avec nous, et qui était déjà très médiatique. Et on était aussi soutenu par d’autres grands scientifiques comme le commandant Cousteau, le vulcanologue Haroun Tazieff...  Et  on est allés présenter le résultat de nos recherches au Sénat américain, et j’ai moi-même été reçu par Michel Rocard...
Pourquoi alors rien n’a été fait ?
Rien n’a été concrétisé parce qu’on ne ressentait pas encore les effets du réchauffement climatique. Contrairement à aujourd’hui, où les signes sont visibles : fonte des glaces, augmentation des températures, mais aussi multiplication des cyclones... Bref, on voit que le climat est déréglé. Résultat, on a attendu trop longtemps avant d’agir. Avec les conséquences qu’on voit aujourd’hui.
Mais les choses bougent avec le Grenelle de l’environnement !
C’est vrai que c’est formidable de voir les syndicats, les chercheurs et les patrons travailler ensemble pour tenter de trouver une solution. Reste à savoir comment on va financer tout ça. Et puis, les politiques oseront-ils vraiment mettre en place des mesures impopulaires pour lutter contre le réchauffement ? D’ailleurs le Grenelle n’a pas évoqué le problème des voitures qui consomment beaucoup trop de carburant, comme les 4 X 4.
Mais quand même, l’environnement est devenu un problème de société !
C’est vrai qu’on n’imaginait pas ça il y a vingt ans. Et la France peut jouer un rôle important. Grâce aux scientifiques, mais aussi grâce à des personnalités comme Nicolas Hulot, que j’ai rencontré et qui est devenu incontournable. C’est d’ailleurs le seul à avoir réussi à faire signer un pacte écologique à tous les candidats de la dernière élection présidentielle.
Les principaux défis aujourd’hui ?
Il y a trois grandes questions. D’abord, comment encourager la croissance, qui est nécessaire, et respecter l’environnement ? Je crois qu’on ne sait pas encore répondre à cette question. On commence à produire des technologies plus propres, mais ce n’est pas suffisant. Mais il faut aussi répondre à cette question essentielle : quelle énergie pour demain ? Nicolas Sarkozy annonce qu’on ne construira plus en France d’autres centrales nucléaires. Pourtant, il va continuer  à en vendre à l’étranger ! Enfin, malgré les recherches scientifiques, on connaît encore très mal notre système climatique et notamment les sources qui produisent du gaz à effet de serre.
Les conséquences du réchauffement climatique ?
Le réchauffement climatique, c’est d’abord un cercle vicieux. Par exemple, le réchauffement de la Terre pourrait entraîner la fonte des glaces en Sibérie, qui sont un immense réservoir de méthane. Or le méthane est un gaz à effet de serre 23 fois plus réchauffant que le CO2 ! Résultat : la situation pourrait empirer.
Vous êtes optimiste pour l’avenir de la planète !
Pas vraiment. On voit bien que d’ici la fin du siècle, on ne va pas pouvoir inverser la tendance. La canicule, les tempêtes, la menace sur la biodiversité, la hausse du niveau des mers... Tout ça va créer des bouleversements importants. Mais je pense quand même qu’il n’est jamais trop tard pour agir. Nous avons encore quelques décennies devant nous. Mais il faudra investir des sommes considérables, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Propos recueillis par Florent Clavel

Interview publiée en novembre 2007 dans Lyon Mag.

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