Bertrand Barré : "Le big-bang du design"

Bertrand Barré : "Le big-bang du design"

Alors que la Biennale du design de Saint-Etienne se déroule jusqu'au 30 novembre, le designer lyonnais Bertrand Barré explique les grandes tendances aujourd’hui.

Rhône-Alpes est vraiment une région de design ?
Bertrand Barré : En fait, il y a plusieurs formes de design. Le design industriel qui crée des produits, le design graphique, qui réalise des logos, des emballages... Mais il y a aussi le design architectural, le design sonore... Et puis bien sûr le plus connu du grand public, c’est le design de décoration, avec des stars comme Philippe Starck. Mais c’est surtout en design industriel que la région a toujours été une place forte, grâce à l’important tissu industriel.
Comment a évolué le design dans la région ?
Depuis 10 ans, il y a eu deux évolutions majeures. D’abord, le design s’est vulgarisé
avec notamment  le travail réalisé par le Centre de design Rhône-Alpes. Du coup, aujourd'hui, de plus en plus de PME font appel à des designers. D’où la deuxième évolution : le design a été intégré, c’est-à-dire que beaucoup d’entreprises ont embauché des designers. Ce qui a provoqué une énorme méprise.
Quelle méprise ?
Ce n’est pas en embauchant un designer qu’un chef d’entreprise peut dire qu’il a une véritable équipe de design. Car le désigner est un élément de l’équipe où on retrouve également des ingénieurs, des ergonomes, des stylistes... Du coup, certains patrons ont pu être déçus en intégrant dans leur entreprise un designer.
D’autres problèmes ?
Oui, le business du design est éclaté aujourd’hui dans la région, avec une multitude d’entreprises qui n’ont pas plus de cinq salariés. De ce fait, cette profession manque de visibilité. D’autant plus que la Région Rhône-Alpes n’utilise pas notre savoir-faire pour se donner une image créative, innovante...
Mais il y a la Biennale de Saint-Etienne !
C’est vrai, mais elle est surtout consacrée au design de décoration. La directrice de la Biennale, Elsa Francès, fait un travail remarquable. Et les élus apprécient ce genre de manifestation très médiatique. Mais ça ne contribue pas vraiment au développement économique de la région. Alors que la dernière friteuse de Seb se vend à des milliers d’exemplaires, mais c’est moins sexy. Du coup, personne n’en parle.
Qu’est-ce que vous demandez aux élus ?
Plus rien ! C’est pour ça que j’ai décidé de créer mon propre campus de l’innovation à la Tour de Salvagny, où je viens d’installer mes nouveaux bureaux. Et où je veux réunir des boîtes dédiées à l’innovation : stylistes, bureaux d’études, communicants....
Les grandes tendances du design aujourd’hui ?
L’éco-conception, c’est-à-dire concevoir des produits écologiques à la fois dans la fabrication, le transport, le recyclage... L’objectif étant de réduire l’émission de CO2. L’autre tendance, c’est le retour à la simplicité. Les gens veulent consommer moins, mais mieux. Donc on arrête de multiplier des gadgets qui ne servent à rien, on arrête la frime...
C’est la fin du bling-bling ?
Non, car toute évolution provoque une réaction. C’est vrai que la consommation se simplifie, d’où le succès du hard discount et des low-costs. Mais en parallèle, le luxe est de plus en plus haut de gamme, de plus en plus cher... Car pendant la crise, les riches veulent encore plus se démarquer des autres.
Les matériaux les plus utilisés ?
L’acier, qui coûte de plus en plus cher, est moins utilisé. Alors qu’on voit apparaître des résines de synthèse, fabriquées à partir de produits naturels comme le bambou.
Et les couleurs ?
On sort d’un monde où les couleurs étaient nobles, belles, rassurantes pour aller dans un monde avec des couleurs vives, surprenantes, gaies... Comme l’orange ou le vert anis. Bref, on est décomplexé. On n’a pas plus besoin d’être noble pour être intelligent. Comme on n’a plus besoin d’être cher pour être de qualité. Exemple : Google, qui est pourtant gratuit, remporte un grand succès.
Les valeurs sont en train de changer ?
Oui, c’est pourquoi on assiste à un big-bang du design. Il faut créer autre chose qu’un amoncellement de fonctions. Le progrès, ce n’est pas mieux qu’avant mais plus malin qu’avant. Comme Easy Jet, qui propose moins de services qu’une compagnie aérienne classique, mais qui est beaucoup moins cher. Et personne ne dirait qu’Easy Jet, c’est nul. Bref, les designers doivent réinventer une nouvelle offre.
Mais le design, ce n’est pas devenu superflu en période de crise ?
Non, en temps de crise, ceux qui survivent sont les plus intelligents et les plus réactifs. Bref le design, c’est l’avenir. Pas pour concevoir des produits qu’on fabriquera à moindre coût en Chine, mais au contraire pour concevoir des produits qu’on sera les seuls à savoir faire. Je suis d’ailleurs en train d’écrire un bouquin de 300 pages sur le thème de l’innovation sur les marchés décroissants, qui sortira au printemps 2009.

Propos recueillis par Thomas Nardone
t.nardone@lyonmag.com

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