Nuits de Fourvière : Calacas, l'expérience post-mortem signée Bartabas et Zingaro

Nuits de Fourvière : Calacas, l'expérience post-mortem signée Bartabas et Zingaro
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Co-produite par les Nuits de Fourvière, la nouvelle création de l’écuyer et metteur en scène Bartabas, proposée jusqu’au 21 juillet au parc de Parilly, emprunte autant à l’art équestre qu’aux arts du cirque. Calacas propose un voyage en plusieurs tableaux, tumultueux et dyonisiaques, où squelettes et macchabées invitent les mondains à se livrer à une folle danse macabre.



"Zig et zig et zag la mort en cadence, frappant une tombe avec son talon..." Son talon ? Non. Son sabot ! Camille Saint-Saëns, compositeur de la Danse macabre en 1874, n’aurait pas pris ombrage d’une telle modification de son poème symphonique. Bartabas et Zingaro ont osé. En s’attaquant à la thématique de l’au-délà, le célèbre créateur et l’académie du théâtre équestre rendent une copie unique. Dans la forme tout d’abord. Il fallait s’y attendre en voyant trôner, majestueux, au milieu du parc de Parilly, ce chapiteau noir. Une impression de fête foraine saisit alors le spectateur. Va-t-il entrer dans le palais des glaces ou dans le train fantôme ? Nenni. La bouche qui l’aspire à l’intérieur du tombeau est l’antichambre d’un enfer voluptueux. Pas de Charon, pas de Styx à traverser. Un simple escalier à monter, pour mieux redescendre vers la scène. Au-dessus des gradins, entourant la tribune, un anneau, où tournent dans une pénitence joyeuse artistes et chevaux, renforce la sensation de chaos organisé. Pris entre la piste et l’anneau, dans cette double scénographie, le spectateur devient prisonnier. Pendant près d’une heure trente, il végète entre ces deux cercles de l’enfer. Son regard est aspiré par le haut et par le bas. Il peut rarement se fixer. La mort éveille ses sens, le maintient en alerte. Il est arrivé, malgré lui, dans le monde des squelettes. Et il en ressortira différent.

Traiter de la mort n’est pas forcément cérémonial, pompeux ou... mortifère. La paradigme de Calacas est le folklore mexicain. Les squelettes (calacas en mexicain des faubourgs) prennent le pouvoir. Ils sont l’alpha et l’oméga du spectacle, s’animent dans une esthétique joyeuse et rigolarde. Le tout au son des chinchineros, ces hommes-orchestres dont les percussions fracassent les sonorités académiques. Ils sont deux sous le chapiteau (Pepa et Luis Toledo) accompagnés d’autant de joueurs de tambours (Sébastien Clément et François Marillier), dont les roulements rappellent l’imminence d’un péril. Lequel ? Celui pour le vivant de se débarrasser de ses oripeaux de mortel, de ses contingences sociales de son goût de l’apparence. Perdus au milieu de la scène, des dindons glougloutent une dernière fois au milieu des squelettes, dans un dernier souffle allégorique de vanité. Place à la mort qui s’anime et prend le pouvoir. Cette mort qui danse grâce aux chevaux. Les équidés baladent des écuyers grimés en squelettes, dans la fougue de leurs galops répétés. A terre, ces mêmes squelettes sont dégingandés, désarticulés. Leur danse devient absurde, dégoulinante. Elle rappelle les conventions obséquieuses qui régulent l’ici-bas. Mais sur leurs destriers, ces squelettes deviennent fougueux, majestueux. Chez Bartabas, la vie abîme, la mort ressuscite. Une transmutation alchimique, rendue possible par un seul truchement : le cheval. Les montures sont autant de Virgile qui accompagnent ces Dante désarçonnés par leur nouvelle condition.   

La performance est bluffante. Tous les costumes, pensés par Laurence Bruley, sont inspirés des traditions mexicaines. Réalisés par neuf costumiers, ils ont nécessité des heures d’ouvrage. Cette précision des étoffes concoure au rendu général. Sur la piste et sur l’anneau, ce sont huit cavaliers, dont trois femmes, qui se succèdent dans les différents tableaux. Les masques qui reproduisent les crânes, signés Cedric Kretschmar, sont clairement disproportionnés et les tissus qui habillent certains morts semblent ostensiblement précieux. Derniers reliquats d’orgueil de ces tas d’os, devenu égaux dans l’au-delà. Leurs mâchoires claquent au rythme de ce tourbillon. Traduisent-elles la moquerie ou l’angoisse ? L’interprétation reste à la discrétion du spectateur. Mais cette danse macabre, que Jean Renoir avait déjà reproduite comme un avertissement à ses contemporains dans son film La Règle du Jeu en 1938, figure la mort d’une société moribonde. La nôtre ? Sans doute.

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