Archie Shepp ressuscite les martyrs d'Attica à Fourvière

Archie Shepp ressuscite les martyrs d'Attica à Fourvière
L'éclairage des Nuits de Fourvière était parfait - Lyonmag

Le jazzman noir américain se produisait lundi soir dans le Grand Théâtre antique avec son Big Band dans le cadre du festival des Nuits de Fourvière.

Archie Shepp est un vieil homme. Lui qui est né en 1937 a gardé tout frais dans sa mémoire le massacre des prisonniers noirs de la prison d'Attica, dans l'Etat de New-York, en septembre 1971, quand leur révolte avait été matée dans le sang. L'année suivante, il avait enregistré un album à ce sujet, Attica Blues. Aujourd'hui, il veut ressortir ce disque hommage, et s'est entouré pour ce faire d'un véritable orchestre de jazz, lui-même assurant le saxophone et la voix.

Dans les ruines antiques encore tièdes de la journée caniculaire, la formation a commencé avec Quiet dawn, après la lecture par Archie Shepp d'un manifeste se terminant par un cinglant "we are all prisonners". Puis tout s'est enchaîné. Beaucoup de chansons rappelant le carnage de 71, d'autres commémorant la mémoire de George Jackson, célèbre militant des Black Panthers tué quelques jours plus tôt en prison (Blues for brother George Jackson), certaines plus légères comme Déjà vu, certaines lourdes de sens (Ballad for a child), ou romantiques (Arms, The stars are in your eyes). Et si l'homme est âgé, le musicien et le chanteur n'ont pas pris une ride.

Sous son chapeau qui ombrageait son visage, il est resté tout du long planté sur un fauteuil de bar, devant son Band, à côté du chef d'orchestre. Quand il se met à jouer du saxophone, les notes de son instrument, qui semble avoir été  taillé pour cela, arrivent aux oreilles déjà fendues, elles n'ont plus qu'à fêler le coeur de l'assistance. Parfois vaguement tristes, parfois carrément festifs, ses accords sont enchaînés avec une incroyable habileté, tout en retenue mais pourtant fous.
Quand il chante, on croirait parfois entendre la volupté languissante de Tony Bennett, en légèrement plus grave. Sa voix éraillée est profonde, les sons qui en sortent semblent être sortis directement de son âme. Et quand il grimpe en rythme et en intensité pour hurler avec la soudaineté et l'énergie que l'on croyait réservées à Ray Charles, on se demande s'il n'a pas menti sur son âge tant cela perfore les organes sensoriels. Sa musique est élégante car elle est intense mais jamais précipitée.

Ses musiciens ne sont pas en reste, d'ailleurs ce sont eux les véritbales vedettes du specatcle. Chacun, qu'il joue du trombone, de la trompette, du saxophone, de la guitare, du piano, du violon, du violoncelle, de la flûte ou de la contrebasse a droit à son solo. Et le savoure, comme un gosse, encouragé par les autres membres du groupe. Groupe n'est à ce propos pas le terme qui caractérise cet ensemble : ils jouent en équipe, les uns pour les autres. Et que dire des trois incroyables chanteuses, qui ne se contentent pas de faire les choeurs (à merveille), mais qui elles aussi prennent à bras le corps des morceaux, pour faire pleurer ou danser avec des voix complémentaires et très "smart". Tout cela magnifié par l'acoustique du théâtre romain et joliment mis en lumière.
Archie Shepp sur scène, c'est un peu comme un diamant brut que l'on verrait être taillé minutieusement. C'est généreux et beau, doux et grave, mélancolique et enthousiaste.

Le musicien enregistrait ce concert en vue de l'intégrer dans une réédition live d'Attica Blues. Il fait appel à la souscription publique pour l'éditer. Ce disque comme ce concert auront en tout cas le mérite, notamment dans un pays comme le nôtre où l'on agresse des gens pour leur orientation sexuelle, de porter à nos consciences certaines dérives fanatiques qui sous couvert de le grandir, ne font que montrer les aspects les plus sombres de l'Homme. Archie Shepp et son Big (big) Band auront réussi lundi soir à transcender cela en faisant joyeux avec cette lourdeur. Ceux qui sont morts à Attica étaient peut-être quelque-part avec eux dans les ruines, accompagnés de leur terrible cortège de victimes de la bêtise humaine.

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