Lettre à Anne

Quand je t’ai proposée de nous retrouver le dimanche midi au Mama Shelter de Lyon, j’étais presque certain que tu refuserais à cause de l’heure de la messe et du déjeuner familial. Et non, tu as accepté avec plaisir et c’est une très belle jeune femme, lunettes Pilote et petit pull Ralph Lauren que j’ai retrouvée au bar de l’hôtel. Le soleil est au rendez-vous et l’emplacement que nous choisissons est baigné de lumière ; soucieux de ton bien-être, je te propose de changer de place et tu me réponds non car ce serait dommage que je ne puisse pas voir la beauté de tes yeux bleus …

Nous nous connaissons depuis longtemps, nous avions des amis en commun et notre éducation est similaire mais je me suis affranchi du conservatisme de cette droite qui sent la naphtaline, toi non même si tu t’en défends. Tes premiers mots sont pour te plaindre de l’attitude de la presse à ton endroit, du comportement de l’élite locale qui te rejette, toi, l’élue Républicaine de la charrette Wauquiez. Tu serais encartée au FN, ce ne serait pas différent. Mais pourquoi, es-tu responsable des engagements de ton père ? Il est vrai que tu as fait une erreur de com en déclarant que tu t’inscrivais dans la tradition familiale, même si tu voulais parler d’une tradition d’engagement en politique. Le mal est fait.

Pourtant, tu tentes le tout pour me convaincre que tu es libre, que ton engagement est le tien, que tu t’es affranchie de la tutelle familiale et que tu portes un projet de renouveau. Je me sers quelques saucisses de volaille et je te vois sourire… "bien sûr tu prends le seul aliment phallique qu’il y a !", en effet Bénédicte Louis n’aurait pas osé !

Toi l’élue régionale se détend, tu me parles de tes combats, de la justice sociale, de l’enfance, de ton projet … forcément tu me tends la perche : et la manif pour tous ? c’est quoi ton problème avec les gays ? Pourquoi avoir mélangé le mariage de deux personnes et la PMA ou la GPA ? Tu ne te laisses pas démonter et rétorques que tous tes amis gays ne veulent pas d’enfant parce que leur style de vie ne le leur permet pas. L’argument me semble léger d’autant que tu oublies toutes ces femmes lesbiennes qui ont tant d’amour à donner à un enfant et que tu confonds mariage et procréation. Que l’on veuille défendre les valeurs de la famille, je le comprends mais que l’on s’entête à en perdre tout Sens Commun m’effraie.

Et puis sincèrement, je n’aime pas cette droite des "valeurs" qui finalement n’ont rien d’actuel, ce sont les valeurs d’une autre époque où les femmes portaient le voile, pardon la mantille, pour aller à la messe, où les enfants jouaient aux billes en culotte de velours et où les hommes avaient la bénédiction de leur femme pour s’amuser. Cette époque est révolue, les femmes ne vont plus à la messe, même toi tu as zappé le sermon dominical, elles sont sur Tinder ou Happn, les gamins jouent à la PS4 en incarnant le méchant qui tue et les hommes ont découvert leur bisexualité.

Alors quand j’entends ton discours sur les droits et les devoirs, sur le bien commun, sur la vertu du travail, je me dis que tu ne peux pas continuer à soutenir des gens comme Fillon ou alors tu te fous de moi !

Anne, tu es une fille bien, ce que tu m’as dit de plus perso t’honore, je te crois sincère mais arrête de servir le discours de ceux qui trompent leur femme avec leur assistant parlementaire, qui restent mariés par convention et qui pour éviter qu’elles parlent les indemnisent avec l’argent public, qui brandissent leur croix comme le fouet dans la backroom, qui vantent l’héritage chrétien de la France en oubliant qu’ils ont conservé du paganisme leur goût immodéré pour la pluralité des genres, qui s’autoproclament personnifier la vertu quand ils ne sont que l’incarnation des écuries d’Augias.

Anne tu te trompes de crèmerie ! Ton engagement pour l’écologie est juste, ta vison d’un enseignement décentralisé est nécessaire, ta préoccupation pour l’accès à la propriété des bénéficiaires des logements sociaux est responsable, ton combat pour reconnaitre la prise en charge des enfants atteints de troubles du comportement est indispensable, ton militantisme pour la valorisation de l’apprentissage est une évidence. Montre-leur que tu es libre, audacieuse, qu’il ne suffit pas de porter une parka rouge pour être le pompier qui sauve et que le respect de l’autre commence par le respect de soi en assumant ce que nous sommes.

En nous quittant, tu as souligné mes cernes en me demandant si ma nuit n’avait pas été trop agitée … je t’ai répondue qu’elle avait été délicieuse et que l’hôtesse de l’air qui m’avait fait monter au 7e ciel était divine. Tu ne m’as pas cru, pensant que je parlais d’un steward ; et bien non Anne, vois-tu avec moi ce qui est important, ce n’est pas le sexe, la couleur, la religion ou l’orientation politique, ce qui est important est la sincérité du moment. 

Bon vent et deviens toi-même.

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Benoît de Valicourt