Etienne Dolet est né à Orléans le 3 août 1509. On ne sait toutefois rien de ses origines familiales. Lui-même écrira plus tard : "Je suis né de parents qui occupaient dans le monde un rang honorable et même distingué, même s'ils ne se sont fait remarquer en aucune façon".
Orphelin à 12 ans, Etienne Dolet s'installe à Paris où il reçoit une solide formation classique pendant cinq ans, suivant notamment les cours de rhétorique du latiniste Nicolas Béraud. Puis il part trois ans en Italie, à l'université de Padoue, pour compléter sa formation.
A l'époque, l'université de Padoue, fondée en 1222, est réputée dans toute l'Europe. Etienne Dolet suit entre autres les cours de Vésale, le futur médecin de Charles Quint qui finira condamné à mort par l'Inquisition pour avoir pratiqué les premières dissections.
En 1529, Etienne Dolet retourne en France, à Toulouse, où il étudie le droit. Et les premiers ennuis commencent.
Car le jeune homme prend la tête d'un mouvement étudiant et critique vertement le parlement de Toulouse, qui est alors la capitale de l'Inquisition en France. Deux violents discours à l'encontre de l'Eglise lui valent de finir en prison. Il ne reste derrière les barreaux que trois jours, car l'évêque de Toulouse intervient en sa faveur et l'oblige à quitter la ville sans se retourner.
C'est ainsi qu'Etienne Dolet pose ses valises à Lyon en mai 1534, il a alors 25 ans.
Lyon est le rendez-vous de tous les grands humanistes de l'époque. Erasme et Guillaume Budé font de fréquents séjours en ville. Et Rabelais exerce la médecine à l'Hôtel-Dieu depuis 1532. Il y a aussi les humanistes lyonnais comme Pierre Sala, qui collectionne les vestiges romains dans son domaine de l'Antiquaille, ou Maurice Scève qui est à la fois poète, musicien, astronome…
Lyon est aussi l'une des capitales européennes de l'imprimerie depuis la fin du XVe siècle, avec Mayence, Venise, Bâle et Paris. De véritables dynasties d'imprimeurs se sont établies entre Rhône et Saône : les Rouville, les Buyer, les Jean de Tournes et surtout Sébastien Gryphe, qui sera le premier employeur d'Etienne Dolet.
Il faut dire que la ville ne présente guère de danger pour les imprimeurs. Il n'y a pas de faculté de théologie comme La Sorbonne à Paris et qui pourrait censurer les éditeurs. Quant aux archevêques de Lyon, à l'instar d'Hippolyte d'Este et le cardinal de Tournon, qui sont aussi les gouverneurs de la ville, ce sont de véritables humanistes et protecteurs des arts et des lettres.
Pourtant, l'Eglise voit globalement d'un très mauvais oeil la diffusion massive de la Bible et des textes philosophiques de Platon ou Sénèque. Le pouvoir de la connaissance, jusqu'à présent entre les mains des hommes d'Eglise, est en train de leur échapper. Même s'il convient de relativiser l'engouement populaire puisqu'à l'époque, un ouvrage devenait un best-seller lorsqu'il se vendait à 1000 exemplaires. Seuls les riches bourgeois avaient les moyens d'en acquérir, et la majorité de la population ne savait pas lire.
Etienne Dolet est d'abord correcteur chez Sébastien Gryphe. Un poste qu'il occupe durant quatre ans et qui lui permet de se mettre à l'écriture. Il publie en 1536 le premier volume de ses "Commentaires sur la langue latine" qui ont un certain succès.
Et en mars 1538, à Moulins, le cardinal de Tournon présente Etienne Dolet au roi, à qui il offre un exemple de son livre. François 1er est sous le charme et lui accorde le privilège d'exercer la profession d'imprimeur.
C'est ainsi que son ascension express débute, Etienne Dolet n'a pas encore 30 ans et se met à son compte à Lyon.
La mauvaise réputation
Il monte d'abord un atelier modeste avec trois presses, trois compagnons et un apprenti. Il publie surtout des livres en français, en petit format par souci d'économie. C'est dans son atelier que sont imprimés la plupart des livres condamnés par La Sorbonne. Au total, en quatre ans, il publie plus de 50 ouvrages, dont "Le Microcosme" de Maurice Scève, les oeuvres complètes de Clément Marot et la réimpression de "Gargantua" de Rabelais…
La vie d'Etienne Dolet est très agitée. Au cours d'une bagarre, il tue un peintre et se retrouve en prison pendant trois mois, avant d'être gracié par le roi. Très fougueux et assez instable, impulsif voire agressif, il insulte Erasme, le traitant de "vieillard bouffon" et de "vieux décrépit".
Son mariage avec Louise Giraud et la naissance de leur fils Claude ne l'assagissent pas. Etienne Dolet n'hésite pas à violer la loi. Par exemple, il ne soumet pas ses publications à la sénéchaussée, la police de l'époque. Il prend également des positions radicales contre la religion en affichant son athéisme, alors qu'il convenait à l'époque de choisir son camp entre protestants et catholiques.
Ce caractère entier et excessif finit par lasser les Lyonnais, et particulièrement ses confrères imprimeurs. La plupart sont jaloux du privilège obtenu de François 1er, puisqu'Etienne Dolet n'a pas eu à suivre le cursus traditionnel pour devenir imprimeur, c'est-à-dire le système du compagnonnage. Considéré comme un intrus, il est boycotté par ses pairs.
La réaction d'Etienne Dolet est à l'image du personnage. Puisqu'il déclenche la première grande grève de l'histoire de France. Il monte les compagnons du livre contre leurs patrons. Et en avril 1539, ils cessent de travailler pour dénoncer leurs conditions de travail déplorables (de 4h du matin à 22h, 7 jours sur 7 !) et la concurrence des apprentis recrutés à bas prix.
La grève dure quatre mois et prend fin le 31 juillet, lorsque le sénéchal finit par prendre des mesures énergiques en interdisant notamment toute association et mouvement de grève.
Etienne Dolet continue à écrire, passionné par la langue française. Il se met à rédiger "L'orateur français", un grand ouvrage sur l'orthographe, la grammaire, la phonétique. Mais il n'a que le temps de publier un premier tome, qui traite de la ponctuation, des accents, de l'apostrophe… Cela n'avait jamais été codifié. Et son livre aura une forte influence sur la langue française.
Son travail cesse car ses ennemis imprimeurs le dénoncent à l'Inquisition. Etienne Dolet est suspecté d'hérésie pour avoir publié un opuscule religieux jugé non conforme. En juillet 1542, il est jeté dans les prisons de l'archevêché de Lyon, puis transféré à Paris où il est libéré un an plus tard. En contrepartie de sa libération, il doit reconnaître ses erreurs et promettre de ne jamais publier de livres prohibés.
La haine qu'il suscite est telle que ses détracteurs l'achèvent avec un nouveau complot en 1544. Ils expédient sous son nom deux paquets de livres interdits. Sans autre forme d'investigation, les autorités se mettent à sa recherche pour un nouveau procès en hérésie. Mais Etienne Dolet parvient à s'enfuir en Italie, tandis que ses livres sont brûlés à Paris, sur le parvis de Notre-Dame.
Imprudent, Etienne Dolet revient à Lyon pour voir sa femme et son fils. Il est alors arrêté, puis de nouveau transféré à la capitale où il est emprisonné à la Conciergerie. L'instruction de son cas est longue, elle dure deux ans. Car l'imprimeur est accusé de blasphème, de sédition et de publication de livres prohibés. La Sorbonne le juge aussi coupable d'hérésie, notamment pour avoir écrit : "Après la mort, tu ne seras plus rien du tout".
Le 2 août 1546, le Parlement le condamne à être brûlé vif place Maubert dès le lendemain, soit le jour de son 37e anniversaire. Sur le bûcher, on place une pancarte qui qualifie Dolet de "relaps, épicurien et saducéen". Courageux, l'imprimeur meurt sans se renier, se déclarant athée jusqu'au bout.
Pas une seule voix ne s'est élevée pour le défendre. Même les docteurs en théologie de Lyon estiment que ses publications contenaient une "pernicieuse et hérétique doctrine". Ses amis sont lassés de ses excès, de ses outrances qui lui valent justement d'aller au bûcher. Quant au roi, il est absent de Paris à l'époque.
Etienne Dolet restera comme l'un des grands représentants de la libre pensée qui aura marqué le XVIe siècle. Il est aussi très révélateur de l'état d'esprit qui règne à Lyon à l'époque : une grande ville commerçante, ouverte sur l'Europe et attirant de grands humanistes. Il incarne aussi cet esprit lyonnais, volontiers provocateur et rebelle, faisant de Lyon une ville à part dont le pouvoir central se méfiera longtemps.
Il y a des rues Étienne Dolet à Lyon, Saint Fond, Oullins, Tarare...
Signaler RépondreArticle remarquable !
Pas par « la base » mais par « le bas » (c’est-à-dire en normalisant la médiocrité). Ou bien il faut préciser ce que vous entendez par « la base » parce que chez nous, on était des immigrés de la deuxième génération, fils et fille d’ouvrier de chantier et de couturière, et on lisait beaucoup ! C’est l’évasion qu’on pouvait se permettre, faute de vacances la plupart du temps. J’ai plus de quarante ans, un bon travail qui m’intéresse et je continue de lire énormément. Je suis d’accord avec vous sur le constat général.
Signaler Répondremerci les pseudos pédagos éclairés post soixante huitard qui ont massacré notre école primaire qui était une des plus performante des pays de l'OCDE ; et nous n'étions pas 20 ou 25 par classe mais plutot 30 ou 35 ; et nos instits n'étaient pas bac + 5 ; mais nous savions tous lire et écrire en CM1 et CM2
Signaler Répondremais le nivellement par la base voulu par nos bien pensants depuis bientôt un demi siècle fait que le livresque est en total perte d'influence chez nos enfants et petits enfants ; désormais c'est toc toc , face de bouc et autres outils étrangers hautement pernicieux qui alimentent l’acculturation et la désinformation ; le nivellement par la base a quasiment atteint son but ; quel désastre
Signaler RépondreLe livre véhicule des connaissances, qui provoque de la réflexion et des interrogations, va essentiellement contribuer à l'essor de l'humanisme de la renaissance. Etienne Dolet était étudiant en droit à Toulouse en 1529 ou se trouvait également Michel Servet depuis 1528. Tous les deux étaient des lib(v)res penseurs et ont travaillés pour l'édition Lyonnaise. Ils sont morts pour leurs idées jugées blasphématoires, dans des circonstances effroyables, sur un bucher.
Signaler RépondreMerci pour cet article, afin qu'on oublie jamais ces vrais hommes, prédécesseurs des : Rushdie, Cabu, Wolinski etc.
a Lyon
Signaler RépondreJ'étais au collège Étienne Dolet lorsque à Saint Fons dans les années 1960 /1965
Signaler RépondreWhaou,la sénéechaussée à laissé sa place à la maréechaussée,laissez moi me marrer,face à la mer le vent l'emportera.Les smartphones,caméras,ordinateurs
Signaler Répondrefont le boulot du renseignement,en plus du collabo....et va crescendo la dénonciation.La dûperie plus forte que la supercherie,tout l'art de dissimuler ou si vous préférez,le vrai du faux.Des exemples à la pelle,est-ce que le gredin est plus fort que le filou?...l'argent roi,la monnaie reine,quel royaume.
Quelle histoire...! Et quand on nous dit :"c'était mieux avant..."?!
Signaler RépondreBravo et merci pour cette chronique
Bel article
Signaler RépondreEn dépit d'une nature impétueuse, cet homme aurait tout à fait pu avoir une rue à son nom, ne serait-ce que compte tenu de l'avancée qu'ont représenté ses travaux sur la langue Française... Et au nom de l'assassinat politique dont il fut victime, l'Eglise de ces temps-là restant prête à tout pour maintenir son pouvoir sur les esprits... Les choses ont-elles vraiment changé depuis, une "église" pouvant en cacher une autre (comme les trains!) ? Certes, on ne jette plus les "coupables" sur des buchers, du moins ces derniers sont-ils "virtuels" aujourd'hui... Mais les coups-bas restent bien présents vis-à-vis de qui prétend changer trop brusquement l'ordre établi.
Signaler RépondreTrès intéressant ce morceau de notre histoire , on en redemande évidemment, on adore l'illustration, merci à l'auteur de cet article. En ce temps là pas de cadeaux pour les insoumis...
Signaler RépondreArticle historique par ailleurs très intéressant, comme toujours !
Signaler RépondreMerci pour ces articles historiques ! Svp, continuez. Et merci à @Alcofribas pour ses précisions.
Signaler RépondreDeux petites précisions :
Signaler RépondreLa sénéchaussée n'était pas exactement une autorité de police, c'était une cour de juges royaux qui exerçaient au XVIe siècle des fonctions politiques, administratives et, effectivement, policières (voir le livre de Pallasse à ce sujet)
La rédaction laisse croire que l'Inquisition était encore établie en France au XVIe siècle. Certes, la cour de Toulouse fut en place jusqu'au XVIIe siècle, mais sans aucune action importante depuis le XVe siècle. La monarchie française s'en était débarrassée, contrairement à l'Espagne où l'Inquisition put étouffer toute forme de pensée jusqu'en plein XIXe siècle