Le vrai d'Allan Kardec est Hippolyte Léon Denizard Rivail. Il est né au 76 de la rue Sainte-Hélène à Lyon le 3 octobre 1804, dans une famille très catholique. Son père, Jean-Baptiste Antoine Rivail, était magistrat, et sa mère, Jeanne Louise Duhamel, appartenait comme lui à la vieille bourgeoisie lyonnaise.
Le jeune Hippolyte reçoit une éducation très classique, comme celle que recevaient tous les enfants de sa classe sociale.
Mais en 1814, à l'âge de 10 ans, il est envoyé en pension dans un collège à Yverdon en Suisse, près du lac de Neuchâtel. Probablement pour le mettre à l'abri du climat d'instabilité politique et sociale qui régnait alors à Lyon, après la chute de Napoléon. Mais aussi parce que ce collège réputé, fondé par le célèbre pédagogue Johann Heinrich Pestalozzi, s'inspire des méthodes pédagogiques préconisées par Jean-Jacques Rousseau dans "L'Emile". A savoir un esprit de tolérance et un libre développement des facultés intellectuelles et morales.
Hippolyte est un très bon élève. Tellement doué et travailleur que Johann Heinrich Pestalozzi lui confie rapidement un rôle d'éducateur en le chargeant d'aider ses plus jeunes camarades.
Le Lyonnais s'engage ensuite dans des études de médecine. Il est fasciné par l'enseignement et la pédagogie. Il devient rapidement enseignant au collège d'Yverdon à seulement 20 ans et publie "Un cours pratique et théorique d'arithmétique". Disciple de Pestalozzi, Hippolyte Rivail commence à propager son système éducatif en France.
Il s'installe à Paris en 1826, rue de Sèvres, où il fonde avec son oncle un collège sur le même modèle que celui d'Yverdon. Et en parallèle, il développe notamment les recherches du savant lyonnais André-Marie Ampère sur l'électrodynamique.
Hippolyte Léon Denizard Rivail devient un nom qui compte dans le pays, ayant eu une grande influence sur la réforme du système scolaire français. Il s'illustre en écrivant des dizaines de manuels pour les enfants. Et en 1828, il propose un "Plan pour l'amélioration de l'instruction publique". Suivi en 1831 de sa "Grammaire française classique", puis en 1848 de "Catéchisme grammatical de la langue française"…
Il donne également des cours de physique, chimie, physiologie et astronomie dans les lycées. Son savoir est encyclopédique, c'est un enseignant remarquable.
Dans la vie, le Lyonnais est un homme ouvert, enjoué, sympathique. Il n'a rien d'un mystique sombre et ténébreux. Avec son allure assez distingué, il est séduisant. Mais c'est avant tout un travailleur infatigable et combatif.
Un changement de vie radical
Il enseigne durant trente ans. Mais la Révolution de 1848 porte un coup fatal à son institution qui doit fermer ses portes. Hippolyte Rivail change alors complètement de métier et devient directeur du théâtre des Folies Marigny où l'un de ses amis fait des numéros de prestidigitation.
L'enseignant et pédagogue réputé nationalement se retrouve à présenter lui-même des phénomènes d'hypnotisme sur scène ! Mais son théâtre fait face à une rude concurrence et ne rencontre pas beaucoup de succès. L'établissement est repris par Jacques Offenbach, qui en fera les célèbres Bouffes Parisiens.
En 1854, Hippolyte Rivail a alors 50 ans et il commence à s'intéresser au spiritisme. En réalité, il a toujours été fasciné par les phénomènes paranormaux. A 19 ans, il avait étudié le somnambulisme. Puis il s'était passionné pour les expériences de Mesmer sur le magnétisme, ainsi que pour les écrits du suédois Emanuel Swedenborg sur les forces du monde invisible.
A l'époque, de grands écrivains comme Honoré de Balzac, Gérard de Nerval ou Auguste Comte étudient aussi de près ces phénomènes.
"Le magnétisme a préparé les voies du spiritisme. Des phénomènes du magnétisme, du somnambulisme, de la télépathie, de l'extase aux manifestations spirites, il n'y a qu'un pas", explique Rivail en 1858.
La mode du spiritisme vient des Etats-Unis, avec celle des tables tournantes. Les premières séances pour entrer en contact avec le monde des esprits sont organisées dans des familles méthodistes américaines. Plusieurs milliers de médiums sont recensés outre-Atlantique au milieu du XIXe siècle.
La bonne société française tombe sous le charme de ces séances de tables tournantes. Napoléon III en personne participe à ces évènements intimes où on joue à se faire peur, à communiquer avec les morts. Victor Hugo se fait aussi initier au spiritisme à Guernesey pour entrer en communication avec sa fille Léopoldine, morte tragiquement 10 ans plus tôt.
Curieusement, Hippolyte Rivail est assez réticent au départ. Mais un vieil ami corse, Carlotti, le persuade de prendre part à des séances qu'il organise chez lui. Et le Lyonnais est conquis : "Pour la première fois je fus témoin du phénomène des tables tournantes, sautantes et courantes et cela dans des conditions telles que le doute n'était pas possible".
C'est à cet époque, au cours de l'été 1855, qu'il change de nom. Car un médium lui révèle qu'au temps des Gaulois, il avait été druide et qu'il s'appelait alors Allan Kardec…
Une dimension sociale importante
Il se consacre désormais entièrement à la propagation de la doctrine spirite fondée sur la croyance en l'immortalité de l'esprit, la réincarnation, la communication avec l'au-delà. Une doctrine qu'il explique dans son fameux "Livre des Esprits", publié en 1857.
Ce dernier est un succès, à tel point qu'il doit être retiré à plusieurs reprises en quelques mois. Car la communication avec les esprits séduit l'imagination éprise de mystère et de surnaturel.
Mais il y a aussi dans son livre une dimension sociale qui ne peut que plaire aux gens défavorisés. Dégoûtés par l'attitude sectaire du clergé qui s'est mis au service des riches, ils ont fini par ne plus croire en rien.
C'est d'ailleurs ainsi que l'analyse Allan Kardec en 1861 : "La classe ouvrière, étant celle qui souffre le plus, se retourne naturellement du côté où elle trouve le plus de consolation". On retrouve chez lui les fameuses thèses socialistes développées par Charles Fourier et Pierre-Joseph Proudhon qui ont conduit à la Révolution de 1848.
Pour Allan Kardec, le spiritisme n'est pas simplement une pratique plus ou moins magique, c'est une doctrine qui repose sur des bases solides et sérieuses. "Une science qui traite de la nature, de l'origine et de la destinée des Esprits et de leurs rapports avec le monde corporel", écrit-il dans son "Livre des Esprits". Pour lui, c'est à la fois une science d'observation et une philosophie qui reconnait un monde transcendantal dépassant notre monde matériel.
Pour le Lyonnais, le monde des esprits est le monde éternel, préexistant à tout et survivant à tout. L'existence sur terre n'est qu'une forme temporelle de la vie éternelle de l'esprit. Parce que l'âme, créée par Dieu, est immatérielle, elle se détache du corps après la mort pour devenir Esprit. Et le passage entre les deux mondes est permanent.
Le spiritisme aurait pu devenir une nouvelle religion ou une secte. Il est ni l'un, ni l'autre puisqu'il n'y a pas de culte ou de prêtre. D'ailleurs, la morale d'Allan Kardec reste la morale chrétienne. Et il ne perd jamais une occasion de le rappeler. Comme en 1864 où il publie "L'Imitation de l'Evangile selon le spiritisme", qui explique les liens entre le spiritisme et les grands principes du christianisme.
Sauf que l'Eglise réagit très mal à cette mode. Elle a toujours condamné la communication avec les esprits des morts qu'elle qualifie de nécromancie. Et rapidement, Allan Kardec est traité d'halluciné, de charlatan… De nombreux prêtres l'attaquent pendant leurs offices et exigent qu'il soit excommunié. En 1869, l'archevêque de Barcelone fait même confisquer et brûler ses livres au cours d'un grand autodafé, comme sous l'Inquisition.
Mais cette persécution de l'Eglise ne fait que renforcer sa popularité. Allan Kardec devient une véritable vedette. Le gouvernement française refuse d'interdire ses publications et le Lyonnais est reçu par Napoléon III.
Il réussit aussi à réunir autour de lui d'éminents personnages qui deviennent ses disciples : l'astronome Camille Flammarion, le spécialiste de la préhistoire Jacques Boucher de Perthes, l'écrivain Victorien Sardou, le physiologiste Charles Richet…
Lyon, le "coeur" du spiritisme
A Paris, Allan Kardec crée plusieurs lieux de rencontres où se presse une foule de curieux. Et le 1er avril 1858, il fonde la Société parisienne des études spirites qui se réunit chaque vendredi passage Sainte-Anne, au Palais Royal, où l'affluence est de plus en plus importante.
A la fin de sa vie, il compte plus de 500 000 disciples, issus de toutes les religions, de toutes les classes sociales et de toutes les régions, y compris à l'étranger.
Allan Kardec retourne souvent à Lyon. C'est d'ailleurs dans sa ville natale que son auditoire est le plus fort et que ses disciples sont les plus fervents. Quand il arrive à Lyon, des milliers de fidèles l'attendent à la gare de Perrache. Parmi eux, beaucoup d'ouvriers, et notamment les canuts.
Au cours d'un banquet en septembre 1861, il déclare à ses centaines de convives lyonnais : "Lyon a été la ville des martyrs, la foi y est vive. Elle fournira des apôtres au spiritisme. Si Paris est la tête, Lyon sera le coeur".
En quinze ans, Allan Kardec écrit des dizaines de livres sur le sujet : "Le livre des médiums", "Le Ciel et l'Enfer", "Les Miracles"… Il crée également la "Revue spirite" qui propage ses idées nouvelles au grand public.
Certains lui reprochent de gagner beaucoup d'argent avec le spiritisme. Et effectivement, son mouvement recueille des fonds colossaux. Mais Allan Kardec répond à ses détracteurs qu'il mène une vie modeste avec sa femme Amélie Boudet, une institutrice qu'il a épousée en 1832, et que l'essentiel de l'argent est destiné à l'organisation des réunions et rassemblements. Il achète tout de même un grand terrain à Paris derrière les Invalides où il fait construire plusieurs maisons pour ses proches disciples et lui. Mais le 31 mars 1869, il meurt à l'âge de 65 ans d'une rupture d'anévrisme, juste avant de pouvoir s'y installer.
S'il avait exigé un enterrement civil dans l'intimité, un millier de disciples assistent à la cérémonie au cimetière Montmartre. Un an après sa mort, son corps est transféré au cimetière du Père Lachaise où la Société des études spirites lui a acheté une concession avec un monument en forme de dolmen et l'inscription "Naître, mourir, renaître encore et progresser sans cesse, telle est la loi".
Aujourd'hui encore, c'est l'une des tombes les plus visitées et fleuries du célèbre cimetière parisien. Elle fera aussi l'objet d'un attentat à l'explosif en 1989, revendiqué par le "mouvement pour la suprématie de la raison".
Depuis, le pape du spiritisme se serait évidemment manifesté auprès de certains. Comme en avril 1910 au groupe Espérance à Lyon, par l'intermédiaire d'une disciple en état de somnambulisme…
Au début du XXe siècle, le spiritisme a perdu la vigueur qu'il avait quelques décennies plus tôt. Mais le retour aux valeurs spirituelles a relancé le mouvement. Au Brésil, un timbre a même été émis à son effigie. Et à Lyon, une stèle a été installée quai du docteur Gailleton, en face du Sofitel Bellecour.
Allan Kardec s'inscrit dans la tradition mystique et occultiste de Lyon, une ville qui a toujours favorisé les mystères, l'étrange et le surnaturel. Du culte de Cybèle à l'époque gallo-romaine, jusqu'à la soeur Gaillard en passant par Pierre Valdo au Moyen-Âge, le mythe de la Licorne, Nostradanum, Saint-Martin, Joséphin Péladan ou le mage Philippe… Mais Allan Kardec est incontestablement le plus connu et intéressant de tous. Car il est le seul que l'on prend encore au sérieux alors que les autres font figure d'illuminés, voire de charlatans.
c etait le concombre masqué dans la revue pilote,dont l enseigne etait :"le journal qui S'AMUSE" à refelechir!
Signaler Répondreinventeur du legume spirituel
Signaler RépondreLe respect n'empêche pas d'encourager l'esprit critique, on fini souvent par être enfermé dans des croyances. Et quand on peut accéder à leurs finalité directement sans pratique ni croyance, cela ressemble bel et bien à du charlatanisme : vendre aux gens ce qui est déjà en eux.
Signaler RépondreVous pourriez dire que Mahomet est un charlatan par exemple ?
Signaler RépondreOù est votre respect des croyances ?
intéressant ; merci
Signaler RépondreTrès bon article comme toujours sur les figures lyonnaises.
Signaler RépondreMais le charlatanisme ne met pas Lyon à l'honneur...
A propos de doctrine ça me rappelle des faits récents sur Lyon. ;-)
Bel article. La stèle lyonnais représente un menhir dans la continuité du dolmen parisien. Il est un symbole solaire représentant la vie (sol Invictus). Le dolmen quand à lui représenterait la lune (un ventre materne), la réincarnation. Les deux viennent de la nuit des temps celtes car Allan Kardec serait le nom d une ancienne vie au temps des gaulois qu avait eu Léon Hippolyte denizard Rivail...
Signaler RépondreEnfin, en plus de la plaque en contrebas du quai il existe un médaillon jumeau au lyonnais qui se trouve sur une plage à Rio de Janeiro où Kardec existe en pensées auprès de millions de brésiliens.