Hausse du prix du tabac : l’écran de fumée ?

Hausse du prix du tabac : l’écran de fumée ?

Alors que les députés ont décidé d’augmenter de 6% le prix du tabac pour 2010, Lyon Mag revient sur la légitimité d’une telle annonce. D’un point de vue comptable, l’impôt indirect et récurrent qui taxe les fumeurs est défendable. Mais a-t’il une réelle efficacité de santé publique et réduit-il significativement le nombre de fumeurs? Patrice Schoendorff, psychiatre et addictologue revient sur le bien fondé médical d’une telle mesure.

Lyon Mag : Qu’est ce qui amène le gouvernement à augmenter les prix du tabac ?

Patrice Schoendorff : C’est un question qu’il faut poser aux membres du gouvernement. J’imagine que compte tenu de la situation, ces mesures là, qui sont finalement des impôts indirects, s’imposent. Cela doit être la première motivation. Il y a sûrement également une motivation sur le plan de la santé publique, mais je ne suis pas certain que cela ait un impact direct. Manifestement, cela provoque l’arrêt du tabac pour certaines personnes. Mais affirmer que l’arrêt de la cigarette chez les gens est corrélé à la hausse du tabac ne repose sur aucune étude légitime. Ce qu’il y a de certain, c’est que les campagnes de sensibilisation successives par rapport aux effets nocifs du tabac jouent un rôle important.

C’est donc plutôt les campagnes de sensibilisation qui sont plus efficaces que l’augmentation du prix du tabac?

Je pense oui. Le tabac pour les fumeurs est une addiction, le prix joue évidemment un rôle, mais je ne suis pas certain que celui-ci soit déterminant. Il me semble que c’est plus l’éducation en terme de santé publique qui a un impact finalement assez favorable. Et puis il y a eu toutes ces mesures concernant le fait de ne plus pouvoir fumer dans les lieux publics qui a joué un grand rôle. Les gens ont réalisé au fond que cela pouvait poser un problème, y compris sur le plan de leur santé. En plus, je crois que quand on a une addiction a un produit, cigarette, cigare, haschich ou autres, les personnes trouvent toujours le moyen pour se procurer le produit. Je crois beaucoup plus au fait que les personnes réalisent véritablement que le tabac ou autres produits toxiques peuvent finalement avoir un rôle très négatif sur leur santé. Tout de même, on sent bien que la population est beaucoup plus sensible a cette dimension de santé, de bien-être, de mieux vivre dans une période qui est par ailleurs difficile pour les gens sur le plan psychologique.

Pensez vous que les campagnes successives des différents gouvernements couplés avec la hausse du tabac ont un impact positif sur les cancers. Y a-t’il moins de cancers maintenant?

D’une manière générale, la santé des personnes s’améliore. Et le tabac d’ailleurs n’implique pas que des cancers, il y a toute une problématique sur le plan cardio-vasculaire. Effectivement, je pense que les choses évoluent positivement. Mais il reste une difficulté. Ces campagnes anti-tabac jouent un rôle sur les personnes qui fument depuis longtemps. Sur les jeunes, je suis moins certain qu’il y ait un impact positif, ainsi qu’une réelle efficacité. J’ai beaucoup de patients qui ont 40/45 ans, qui fument depuis l’âge de 18 ans, et qui demandent une aide pour arrêter leur consommation. De ce point de vue là, les campagnes sont efficaces et l’ensemble des mesures finalement est positif. Sans faire dans la langue de bois, il y a un impact très réel et une demande d’aide tout à fait authentique pour arrêter de fumer, ce que l’on ne constatait pas forcément auparavant.

Selon vous, pourquoi ces mêmes jeunes continuent de fumer alors qu’on leur dit que cela est nocif?

Le fait du fumer peut être compris comme une façon pour les jeunes de rentrer dans le monde des adultes, par mimétisme. Et puis souvent, au delà du tabac, il y a l’aspect comportemental, la posture, le fait d’avoir une cigarette à la main donne une certaine assurance. On voit tout a fait chez les jeunes, dans les soirées que c’est une façon de rentrer en contact avec d’autres personnes en demandant tout simplement une cigarette. Je pense qu’au delà de la dépendance au tabac, qui n’existe pas forcément au départ, il y a toute la dimension comportementale, par exemple la posture que l’on prend quand on fume. Cela fait partie de la panoplie du jeune adulte qui permet de s’intégrer, de rentrer dans un monde adulte, et finalement de changer de statut. La notion de santé quand on est très jeune n’est pas vraiment un élément que l’on prend en compte. Ce qui est vrai pour le tabac est vrai d’ailleurs pour d’autres produits. Cela participe d’une certaine manière d’une sorte de rite initiatique, de transition entre enfance et âge adulte. La fait de fumer permet de s’assimiler à certains groupes. Aujourd’hui, vous êtes jeune, vous allez dans une soirée, si vous ne fumez pas, je pense que l’intégration sera moins facile.

L’achat des cigarettes sur Internet, pour ou contre ?

Je ne suis pas forcément contre. Je pense qu’internet existe, dans la mesure ou cette vente est légale, pourquoi forcément s’y opposer si les circuits de vente sont légaux? Je ne vois pas ou se situe la difficulté. Si le gouvernement donne l’autorisation, j’imagine que ce dispositif a une cohérence. Maintenant, je ne vois pas bien la nature du débat. Je pense que par rapport aux mesures qui vont être prises, cela pourrait constituer quelque chose d’un peu paradoxal.

Propos recueillis par O.S.

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