Né en 1485 à Nuremberg en Bavière, Jean Kleberger est allemand. Son vrai nom est d'ailleurs Hans Kleeberger. La date exacte de sa venue au monde reste un mystère. On sait seulement qu'il est le fils d'un artisan réputé de la ville qui faisait d'ailleurs partie du grand conseil, sorte de conseil municipal. Comme Florence en Italie, Nuremberg est à l'époque une cité très active avec une bourgeoisie riche et puissante. C'était aussi un important foyer intellectuel où se préparait la réforme de Luther.
Hans Kleeberger commence sa vie professionnelle à Nuremberg en 1509 à l'âge de 24 ans. Son père le fait entrer dans la célèbre maison de commerce Imhoff, qui est aussi une banque. Dirigée par cinq frères, l'entreprise est l'une des plus prospères d'Allemagne et possède des filiales dans les grandes villes européennes, dont Lyon. C'est là que le jeune homme est envoyé en mission en 1511 pour représenter la firme Imhoff aux célèbres foires de Lyon.
La capitale des Gaules avait été autorisée par Charles VII et Louis XI à organiser quatre foires par an. Ce sont des manifestations très importantes qui durent 15 jours chacune et qui se déroulent en janvier, à Pâques, au 15 août et à la Toussaint. Il s'agit de foires franches, c'est-à-dire qu'elles sont libres de tout impôt et taxe, ce qui attire de nombreux marchands venus de tout le continent.
A l'époque, Lyon rayonne et, comme Séville ou Anvers, est une capitale européenne du commerce. Véritable carrefour, les marchandises transitent par les bords du Rhône et les tissus et métaux venus d'Allemagne, des Pays-Bas et d'Angleterre passent par Lyon avant de rejoindre les pays méditerranéens.
C'est l'apogée de la puissance lyonnaise. C'est d'ailleurs à Lyon que se fixe le taux des changes entre les monnaies européennes et le taux des prêts à intérêts. Et les rois de France y sont attachés, notamment parce qu'ils y trouvent des banquiers prêts à leur prêter de l'argent.
Deux colonies étrangères sont particulièrement représentées à Lyon : les Italiens et les Allemands. On décompte 76 entreprises allemandes représentées sur place, dont la maison Imhoff.
Changement de nom et d'envergure
A Lyon, Hans Kleeberger, qui deviendra Jean Kleberger ou Cleberger, s'impose rapidement parmi ses compatriotes qui l'élisent porte-parole des négociants allemands. A ce titre, il participe notamment en 1516 aux négociations avec François 1er pour obtenir des lettres de patentes qui permettent aux grandes maisons de négoce allemandes de faire sortir librement leurs marchandises de la ville. Un avantage exceptionnel par rapport aux autres, qui permet aux marchands allemands de prospérer. Et lui en tête.
S'il travaille pour Imhoff jusqu'en 1525, l'Allemand commence dès 1518 à faire des affaires pour son propre compte et devient l'intermédiaire de plusieurs maisons de son pays natal, comme Bongars, le marchand et banquier de Dusseldorf.
La fortune de Jean Kleberger lui permet de devenir un des principaux prêteurs de François 1er. En 1522, il lui prête ainsi une première somme de 17 200 écus.
A l'époque pourtant, le roi français est en guerre contre l'allemand Charles Quint ! Jean Kleberger a donc choisi son camp et prend même la nationalité suisse pour pouvoir continuer à faire du commerce à Lyon.
Entre François 1er et lui, c'est une relation de loyauté qui s'instaure. Jean Kleberger associe étroitement ses intérêts à ceux de la couronne de France et prête de l'argent chaque fois que le souverain lui en réclame. Mieux encore, il encourage les autres grands négociants à le faire également.
On dit même qu'en 1525, il aurait servi dans les armées françaises en tant que capitaine et aurait sauvé la vie du roi à la bataille de Pavie...
S'il passe une grande partie de son temps à Lyon, Jean Kleberger est obligé de parcourir les routes de l'Europe occidentale à cheval à cause de son métier d'intermédiaire. Il multiplie les opérations financières en France, en Suisse et en Allemagne, et par la même occasion ses gains personnels.
En 1527, le natif de Nuremberg s'achète une maison à Genève pour pouvoir préserver sa liberté d'action alors que le conflit continue entre François 1er et Charles Quint.
En 1528, il épouse Félicité Pirckheimer, fille d'un grand intellectuel humaniste et surtout veuve d'Hans Imhoff, son ancien patron, avec qui elle a eu quatre enfants. Un véritable mariage de convenance qui permet à Jean Kleberger de s'allier à deux grandes familles de Nuremberg.
Forcément, il éveille des soupçons. Son beau-père Willibald Pirckheimer ne l'aime pas et le trouve arriviste, violent, orgueilleux. Alors quand Félicité Pirckheimer meurt seulement un an après son mariage, il accuse Jean Kleberger de l'avoir empoisonnée et il porte plainte contre lui.
Si aucune preuve ou procédure n'aboutit, la rumeur le poursuit jusqu'à Lyon où il retourne s'installer dans le quartier Saint-Paul, entre le cloître des Chanoines et la place du Change.
Jean Kleberger ne reste pas seul et se remarie en 1535 avec Pelone de Bonzin, fille d'un marchand de Tournai en Flandre. C'est la veuve d'un marchand qui a été brûlé vif à Paris la même année pour avoir imprimé et distribué des textes en faveur de Luther. Pelone elle-même avait été emprisonnée, puis remise en liberté. Le couple a un enfant en 1536, David, qui sera le seul de Kleberger.
Personnage important de Lyon et proche de la grande bourgeoisie locale, Jean Kleberger est aussi l'un des hommes les plus riches de la ville. Sa vive intelligence, son énergie et son sens des affaires lui ont permis d'amasser une fortune en moins de 30 ans. Enfin naturalisé français en 1536, il peut enfin être reconnu comme un notable lyonnais. Il francise d'ailleurs son nom à cette occasion.
A partir de 1538, il place une partie de ses capitaux dans plusieurs villes de Suisse et d'Allemagne comme Zurich, Saint-Gall, Augsbourg... Et achète des immeubles et des terrains à Lyon et dans la région, notamment une très grande maison dite de Saint-Ambroise en Presqu'île et des propriétés telles que la seigneurie de Saint-Trivier, la baronnie de Montmerle dans les Dombes et surtout le fief de Champs, une maison forte située sur la rive gauche de la Saône à Cuire.
Spéculateur mais généreux
La passion de Jean Kleberger, c'est de vendre, d'acheter, de prêter de l'argent. C'est aussi un as des opérations financières, un habile spéculateur. Lettré, esprit libre et ouvert, il est réputé pour sa bonté et sa générosité.
C'est ainsi qu'il devient l'un des principaux donateurs de l'Aumône générale qui deviendra l'hôpital de la Charité à la fin du XVIe siècle. Lorsque Lyon est frappée par la famine en 1531, que le pain manque et que les affamés des environs envahissent la ville, il répond immédiatement à l'appel des échevins qui sollicitaient la générosité des riches marchands.
Entre 1531 et 1546, il donne plus de 8000 livres à l'Aumône. Et en 1545, les recteurs de l'oeuvre l'invitent à faire partie de leur bureau. Mais ce banquier ne se contente pas de donner aux hôpitaux, il accorde également une dot aux jeunes femmes de son quartier qui veulent se marier. Les Lyonnais finissent par le surnommer "le Bon Allemand".
Et en décembre 1545, il est élu conseiller municipal, un grand honneur rarement accordé aux étrangers. Avant cela, deux ans auparavant, François 1er l'avait nommé valet de chambre ordinaire. Une dignité très importante, accompagnée d'une pension et de certaines exemptions fiscales.
Alors qu'on se dirige vers la fin du règne du roi, Jean Kleberger accepte de servir d'intermédiaire en Suisse pour trouver des fonds et renflouer les caisses du royaume désespérement vides. Mais le Lyonnais d'adoption meurt brutalement. Victime d'un malaise au cours d'un séjour à Genève, il tombe malade dans la foulée et meurt le 15 septembre 1546 dans sa maison de Saint-Amboise.
Il avait alors 61 ans, un âge très avancé à une époque où la moyenne d'âge dépassait à peine les 30 ans.
Jean Kleberger laisse derrière lui un héritage colossal évalué à 150 000 livres. Dans son testament toutefois, il demande à ce qu'on organise un enterrement très simple, souhaitant être inhumé "de nuit, avec une lanterne et sans aucune pompe".
Sa femme et son fils vont s'empresser de dilapider sa fortune. Faible et indulgente envers David, Pelone le laisse dépenser alors qu'il n'y a plus aucune entrée d'argent. Son fils se rajoute même une particule pour devenir David de Cleberger... Et seulement vingt ans après la mort de son père, il se retrouve sur la paille, obligé de vendre la seigneurie de Montmerle au duc de Montpensier, prince des Dombes. David mourut sans descendance, et le reste de sa fortune héritée alla à l'hôpital de la Charité.
Mais alors pourquoi Jean Kleberger a été connu ensuite comme l'Homme de Roche ? A la fin du XVIe siècle, les habitants du quartier Saint-Paul, reconnaissant de sa générosité, avaient érigé une grosse statue de bois au sommet d'une roche dominant la Saône. Statue qui fut remplacée à plusieurs reprises au cours des siècles qui ont suivi, jusqu'à ce que le maire de Lyon, le Dr Jean-François Terme, décida de commander une statue de pierre, plus solide et qu'on retrouve encore aujourd'hui dans une sorte de grotte quai Pierre-Scize.
Kleberger, qui donne aussi son nom à la passerelle de l'Homme de la Roche sur la Saône, fut assez révélateur de l'état d'esprit de Lyon au XVIe siècle. Une grande ville commerçante, ouverture sur l'Europe, capitale économique et financière, avec des habitants qui faisaient tout pour que des étrangers s'installent chez eux pour contribuer à la prospérité lyonnaise.
Pas assez à droite pour BFM, visiblement. Et peut être trop cultivé pour certains.
Signaler RépondreSi c'est le cas c'est bien dommage pour BFM et son audience. La bonne qualité se paye et souvent il y a un bon retour sur l'investissement.
Signaler RépondreJe pense qu’il est trop cher pour BFM
Signaler Répondrerencontré souvent aux marché aux puces de la feyssine à villeurbanne ,ou sa gentillesse ,sa simplicite et son esprit ecclectique font merveille..
Signaler RépondreJean luc Chavent, c'était toujours un réel plaisir de l'entendre sur TLM. Je ne comprends pas pourquoi BFM Lyon, ne poursuit pas une collaboration avec ce brillant Lyonnais humaniste érudit.
Signaler Répondrec etait un des themes de documentaires de jean luc chavent qui etait aussi friand d histoire locale et qui savait eveiller notre curiosite :merci à vous tous...
Signaler RépondreLyon a toujours été une ville d'immigration, c'est factuel. Il n'existe point de vrai lyonnais ! La culture lyonnaise authentique n'existe pas, elle est le fruit d'un multiculturalisme multiséculaire.
Signaler RépondreMerci Alcofridas pour vos éclairages
Signaler RépondreMa grand mère disait souvent, au sujet d'argent ( fait toi payer par l'homme de la roche ) Merci pour cet article très intéressant.. Comme disait Gabin " maintenant je sais " ..
Signaler RépondreNous ne pouvons pas analyser le passé à partir de nos concepts contemporains, les réalités ayant considérablement évolué.
Signaler RépondreAu XVIe siècle, un "étranger", c'était celui qui n'habitait pas la même ville ou le même village. Ce trait de mentalité s'est très longtemps conservé dans les campagnes.
Juridiquement, on distinguait les "régnicoles", sujets du roi, des "aubains", les étrangers d'aujourd'hui. Comme tels, leurs biens étaient acquis au roi s'ils décédaient dans le royaume (sauf dans le cadre des foires de Lyon). D'où le mot : aubaine.
Mais les frontières séparaient avant tout des zones de fidélité féodales différentes, souvent imbriquées. Et les hommes circulaient beaucoup, de même que les monnaies de toutes les nations (notamment d'Espagne) étaient partout utilisées.
Très intéressant...
Signaler Répondreon ne peut pas laisser dire qu'il y avait plein d'étrangers à Lyon à la renaissance, c'est une calomnie !
Signaler RépondreUn "milliardaire", sous l'ancien régime, cela n'a jamais existé. Admettons la facilité de plume, mais ce sera au prix d'un anachronisme.
Signaler RépondrePar ailleurs, avant 1595, Lyon n'avait pas d'échevins, mais des "conseillers de ville", aussi appelés "consuls". Mais pas de "conseillers municipaux". Une nouvelle fois, l'abandon de plume se paye par une approximation.
Enfin, s'il est vrai que l'Aumône Générale a créé au début XVIIe l'hôpital de la Charité, elle a longtemps exercé de nombreuses autres activités caritatives dont l'un des buts était de stabiliser une population vulnérable aux crises : sa création fut immédiatement consécutive à la Grande Rebeyne, et ce n'était pas un hasard.
A ces détails près, cela reste une bonne idée que d'avoir évoqué la mémoire de Jean Kleberger.
Les rois avaient toujours besoin d'argent pour leurs guerres ou pour distribuer des faveurs aux membres de la cour. Ce "bon Allemand" tombait à pic pour dépanner ces seigneurs.
Signaler RépondreTrès intéressant article, qui met en filigrane les liens entre les intellectuels qui ont grandement contribués à faire évoluer l'humanité, grace à la diffusion des connaissances par les livres, souvent imprimés à Lyon. L’humaniste allemand Willibald Pirckheimer qui était son beau père était en relation avec Michel Servet tous deux traducteurs et correcteurs de la géographie de Claude Ptolémée. C'est le peintre Dürer, qui a exécuté le portrait d'illustration de l'article.
Signaler RépondreIl était bon, c'était Jean Bon...
Signaler RépondreGrand Monsieur qui à bien mériter sa statue contrairement à nos guignols wokistes.
Signaler RépondreLes étrangers dont nos politiques favorisent l'installation, ce n'est pas pour la prospérité lyonnaise ....
Signaler RépondreMerci pour cet article.
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