Quand Me Bettina Sacépé parle de Valentin*, sa voix se teinte d’émotion. "Ce dossier m’a particulièrement touchée parce qu’il était déjà assez jeune. Là, j’avais face à moi une personne seule, isolée, qui fugue et qui n’a aucun repère à Lyon.”
Ce jeune Alsacien venait de fêter ses 18 ans, en mai 2022, lorsqu’il a quitté le domicile paternel pour fuir les coups. "Il a grandi avec son père après l’abandon de sa mère. Le père était violent avec lui, donc à force de prendre des coups, un jour il pète un plomb et décide de fuir."
Arrivé à Lyon, Valentin trouve refuge quelques jours chez des connaissances avant de se retrouver à la rue. Un soir, il rencontre dans un bar-tabac de la Guillotière un homme qui lui propose de l’héberger dans son foyer. “Ils vont manger ensemble, boire quelques bières, puis se coucher".
Et sa vie va basculer ce 8 juin 2022. Dans la nuit, Valentin se réveille en sursaut : l’homme pose sa main sur lui"notamment ses fesses". Il fuit immédiatement les lieux en trouvant un prétexte. En partant, il est alerté par des jeunes dans le hall qui le préviennent : il vient de passer la nuit chez un violeur.
Il finit par être accueilli par ces derniers. Mais Valentin n'a pas voulu en rester là. “Aux alentours de 7 heures du matin, il retourne chez le monsieur prétendant vouloir un café et là, il lui assène un coup de couteau à la gorge.” L’homme décèdera quelques jours plus tard.
Valentin, lui, descend chercher la police pour les alerter de ce qu'il venait de commettre. Il est immédiatement placé en garde à vue. Quand Me Sacépé est appelée, le jeune est déjà en détention provisoire. Ironie du sort : c’est le père, celui qu’il a fui, qui la contacte pour le retrouver. En faisant quelques recherches, la pénaliste apprend que Valentin est en prison. “Je me retrouve donc saisie par le papa, finalement la raison de sa fugue. C’était un positionnement assez étrange.”
Être "la dernière arme à leur portée"
L’avocate établit alors un lien de confiance avec son client : “Il fallait que je sois là, très très présente pour lui. Je me retrouve face à quelqu’un qui se scarifie, qui s’est rasé la tête, hospitalisé en prison car il ne va pas bien du tout.” Trois ans de détention provisoire, durant lesquels elle l’aide à se reconstruire et à préparer le procès.
Le procès se tient en mai 2025. Et là encore, les blessures familiales resurgissent. Sa mère, qu’il n’avait plus revue depuis ses 3-4 ans au moment ou elle a tenté de l'enlever pour l’emmener en République tchèque, est revenue pour témoigner. La justice avait confié la garde au père en raison de cet enlèvement international. “Aux assises, c’était la première fois que Valentin a revu sa mère. C’était une violence inouïe pour lui.” Le père aussi est cité à la barre, reconnaissant les violences infligées à son fils.
Les débats sont denses : “Sur la préméditation était très intéressant. Il y avait un laps de temps entre 4h et 7h du matin. Est-ce qu’il a pensé à autre chose ? Ou est-ce qu’il a cogité à son passage à l’acte ?” La cour retient la préméditation. Le procureur requis 18 ans de réclusion. "On a eu très peur à ce moment-là", confie Me Sacépé. Valentin est finalement condamné à dix ans de réclusion criminelle. “C’est une super peine pour un assassinat de sang-froid. Mais dans ce cas-là c'est vraiment adapté. Cette justice est belle, elle a compris ce jeune homme.”
Pour l’avocate, ce dossier symbolise tout ce qu’elle aime dans son métier : l’humain, l’écoute, la reconstruction. "Pour moi, l’instrument juridique, c’est un prétexte pour travailler la relation à l’autre. C’est pour ça que je fais du pénal." Elle poursuit : "Me dire que je suis la dernière arme à leur portée, c’est ce qui m’anime.”
À travers Valentin, Bettina Sacépé s’interroge aussi sur la mission de l’avocat après le verdict."Quand j’ai commencé, les avocats n’avaient pas revu leur client depuis la décision. Je trouve que notre mission s’arrête seulement quand la peine est complètement terminée. Moi, même quand ils sortent de prison, je les suis."
Et cette fidélité, elle la transmet aujourd’hui aux jeunes confrères. “Je forme de plus en plus d’avocats pour qu’ils se mobilisent sur l’après. Que la prison ne soit pas juste une privation de liberté, mais un endroit où on construit, pas un endroit où on détruit.”
Son regard s’adoucit quand elle évoque les derniers échanges avec Valentin : “Il m’a fait une lettre à la fin qui est trop belle. Et je me dis que c’est pour ça que je suis avocate. Vivre ces moments-là : la joie, le soulagement au moment de la décision, et se dire que c’est juste… parce que ça ne l’est pas tout le temps.”
*Le prénom a été modifié
Elle fait son travail, à la justice de faire le sien.
Signaler RépondreEt oui il ne faut pas se rendre justice soi-même, surtout en revenant pour assassiner quelqu'un même s'il a commis une atrocité, il fallait aller directement à la police.
Signaler RépondreSinon après c'est l'anarchie comme avec les dealers qui se flinguent à tout va...