Yann Guillarme dans le rôle d’Harpagon.Cette photo été prise avant les travaux du théâtre Comédie Odéon.
LyonMag : Racontez-nous l’histoire de ce projet, pourquoi avoir choisi cette pièce ?
Joëlle
Sevilla : Depuis plus de 25 ans, je m’intéresse au cas Molière. J’ai
commencé à faire beaucoup de recherches sur lui pour le plaisir pur.
J’ai appris à le connaitre et notamment avec la pièce L’Etourdi, la
pièce qu’il a écrite à Lyon et puis on a commencé avec des anciens
élèves à moi à jouer cette œuvre énorme, qui allait être un peu la
genèse de tout ce qui allait suivre. Et puis, j’ai eu l’occasion de
mettre en scène la pièce les Précieuses Ridicules à la demande de
mes élèves, qui a été jouée pour le festival Tout l’monde dehors en
2010. Ensuite, j’ai proposé L’Avare au même festival en 2012 et on a eu
un beau succès : 2 400 personnes en quatre jours ! On voyait les gens
là, assis par terre, applaudir. On a parlé avec le public et on se
disait qu’il y avait un lien particulier entre Molière et les Lyonnais.
Stéphane Cassez, le directeur de la Comédie Odéon de Lyon est venu à une
représentation de L’Avare et nous a proposé de venir. Cela nous permet
d’avoir notre public mieux installé (rires).
LM : On
retrouve sur scène des acteurs déjà aperçus dans Kaamelott, comme Yann
Guillarme ou Aurélien Portehaut, pourquoi ces choix ?
J.S :
Effectivement, ce sont tous des anciens élèves de mon école (Joëlle
Sevilla est directrice de l’école Acting Studio, ndlr). Ce n’est pas de
la ségrégation, mais comme j’ai une manière spéciale d’enseigner, je
n’ai pas besoin de leur répéter les choses. Ils ont cet attachement à
jouer Molière, le même que moi, le souci d’interpréter le texte d’une
certaine manière, plus moderne… En plus, il y a toujours des pièces de
Molière au programme de mon école, donc il fait partie de la maison !
LM : Justement, parlons du texte, avez-vous fait une adaptation?
J.S
: Non, il n’y a aucune adaptation ! Mais je préviens le public, en
raison des contraintes d’horaires, car nous n’avons qu’une heure et
demie, j’ai été obligée de faire des coupes mais des coupes dans des
très longs discours avec des redites. Car, à l’époque lorsqu’il y avait
un acte, on descendait les lustres du plafond du théâtre et on devait
remettre des bougies pour qu’il y ait de la lumière pour l’acte suivant.
Cela prenait un certain temps, donc quand on reprenait, il fallait
réexpliquer ce qu’il s’était passé dans l’acte précédent. J’aurais
préféré tout garder, bien évidement ! Bon, il (Molière, ndlr) ne m’en
voudra pas en tout cas … Mais en attendant, le texte est intégralement
le sien. On a juste une très infime partie d’improvisation.
LM : Vous jouez Frosine, pourquoi ce rôle ?
J.S
: Je trouve que Frosine est une femme géniale ! Alors, il faut savoir
que la pièce s’appelle L’Avare ou l’école du mensonge. Pourquoi ?
Parce que dans la pièce de Molière, c’est Frosine qui monte tout le coup
du mensonge. C’est une espèce d’entremetteuse, une femme d’intrigue,
elle n’a pas d’argent et des procès sur le dos. En plus, elle est copine
avec la Flèche, c’est une magouilleuse quoi ! Elle essaye de trouver
des jeunes filles à marier, renverse les situations, mais c’est un
personnage sympathique !
LM : Vous dites que Molière était en avance sur son temps, pourquoi?
JS
: Je pense que cela vient du fait qu’il était aussi acteur. Un acteur
qui s’écrit les premiers rôles connait la mécanique. Il y a cette
alchimie, quelque chose en plus, les histoires sont intelligentes,
courageuses pour l’époque ! Il écrit également très bien pour les
femmes, c’est un grand féministe au fond. Mais personne n’était épargné,
c’était un vrai auteur populaire. Il a été haï, mais le public était
là. Je pense que si Molière était vivant, il serait scénariste.
LM : Pourquoi joue t-on encore Molière en 2013 ? Les jeunes acteurs sont-ils autant intéressés ?
JS
: Mais oui ! Il faut se mettre à la place des ados et arrêter de jouer
Molière dans la tradition ! Quand on voit les acteurs se pointer avec
des costumes du 17e siècle, avec des charlottes sur la tête et un
tambourin…Bon, ça n’intéresse plus personne, même pas moi ! Il faut se
mettre à la place de Molière à l’époque, il fallait qu’il capte
l’intention du public parce que les gens faisaient n’importe quoi à
l’époque dans les théâtres : ils braillaient, mangeaient, ils n’étaient
pas disciplinés ! Donc pour faire passer un message c’était un théâtre
très vivant, très physique. Molière est adaptable à aujourd’hui et avec
un jeu beaucoup plus moderne.
LM : Vous allez jouer L’Avare pendant un mois, avez-vous encore le trac avant de monter sur scène ?
J.S
: Non, cela peut paraitre bizarre mais au bout de 45 ans de travail, je
n’ai pas beaucoup de stress, je me suis débarrassée de cette plaie
(rires). Même si on pense que c’est bien d’avoir le trac. Je pense qu’un
acteur qui n’a pas le trac est plus à l’aise. Mais il faut avoir
quelques heures de vol pour cela (rires). Il n’y a pas très longtemps,
j’ai réussi à remplacer le trac par le plaisir. Mais j’ai mis longtemps,
plus de 35 ans au moins avant de comprendre que cela ne servait à rien !
LM
: Votre notoriété et votre rôle de Dame Séli vont faire sûrement venir
certaines personnes au théâtre, va-t-on y retrouver un peu la patte
Kaamelott ?
JS : Non pas du tout. Mais si les gens viennent pour moi,
je dis tant mieux ! Franchement, si on peut faire déplacer des gens qui
ne viennent pas d’habitude au théâtre… Si des gens viennent pour Dame
Séli et que cela leur plait, et bien cela veut dire qu’ils ne sont pas
désespérés du théâtre et qu’ils vont y retourner à un moment donné. Je
suis ravie !
LM : Quels sont vos projets en 2013 ?
JS :
J’ai tourné quatre pilotes sur les économies d’énergie et l’écologie,
avec Serge Papagalli (Guethenoc dans la série Kaamelott), que je vais
proposer en série télé à M6. Il s’agit de mini-séries de trois minutes
environ que j’ai tournées en pleine neige en février. Je m’occupe
également de l’organisation d’une autre master class (Christopher Vogler
était venu en novembre dernier à la Cité des Congrès). 500 personnes y
avaient participé. On espère refaire une master class fin novembre sur
les techniques d’écriture de scénario. On va essayer d’avoir un
scénariste et un conférencier. Et puis bien sûr, j’ai mon école qui
fonctionne toute l’année.
Comédie Odéon - 6, rue Grolée 69002 Lyon (Métro Cordeliers)
• Tarifs : 20€/14€/8€
• Durée de la pièce : 1h15
• Renseignements et réservations : 04 20 10 04 23 - www.comedieodeon.com