Connu pour avoir défendu de nombreux dossiers de grand banditisme, mais aussi pour avoir démystifié l'utilisation de l'ADN, Me Julien Charle est de ces avocats qui ne laissent rien au hasard. Une affaire l’a particulièrement marqué : "Le dossier du karaoké cambodgien". Une histoire vieille de quinze ans, mais qui a joué un rôle clé dans l’évolution de sa carrière.
L’histoire commence un soir dans un petit appartement lyonnais. Trois hommes de nationalité cambodgienne et amis de longue date, se retrouvent pour une soirée karaoké arrosée. Ce qui aurait dû être un moment festif bascule dans l’horreur : l’un d’eux est retrouvé mort, roué de coups. Très vite, l’un des deux survivants accuse l’autre d’être l’auteur du crime.
Malgré l’état d’ivresse générale : "il décrit avec une grande précision les coups portés à la victime, ce qui correspond parfaitement aux constatations du légiste", explique Me Charle. Son client, pourtant accusé, n’a quant à lui aucun souvenir de la soirée : " Il ne dit pas qu’il est innocent, il dit qu’il ne se souvient de rien, qu’il était totalement ivre", poursuit l’avocat lyonnais. Un comportement inhabituel, surtout dans ce genre d’affaire, où le suspect nie généralement toute implication. Toutefois, des éléments troublants viennent remettre en question la version du seul témoin. D'abord, aucune trace de coup ne correspond sur les mains de l’accusé, "mon client n’a jamais eu de problèmes avec la justice auparavant. C’est un réfugié politique qui a fui le Cambodge. Mais c’est aussi un alcoolique qui se défend mal parce qu’il ne se souvient de rien. Il ne peut même pas dire qu’il est innocent, car il ne sait tout simplement pas ce qu’il a fait."
L’ADN ne peut pas être daté
Logiquement, cette défense atypique ne convainc pas le juge d’instruction, qui décide de le mettre en examen et de le placer en détention provisoire. Le point clé de l’affaire repose sur l’interprétation des preuves scientifiques, notamment les prélèvements ADN retrouvés sur les lieux du crime. Julien Charle se plonge alors dans les expertises, "je ne suis pas biologiste, mais ce mode de preuve était en plein essor et manifestement pas tout de suite accessible à tout le monde. Il était essentiel que je m’y intéresse."
C’est ici que la persévérance de l’avocat sera récompensée. Il découvre que l’ADN ne peut pas être daté, et que dans un petit appartement où trois hommes se fréquentent régulièrement, les échanges de traces ADN peuvent facilement se faire. "On peut retrouver l’ADN de quelqu’un qui était présent quinze jours auparavant, ou ne pas retrouver celui d’une personne qui était bien là au moment des faits. Il est donc impossible de déterminer qui a commis le crime uniquement sur la base de ces preuves."
Le premier procès aboutit tout de même à une condamnation. Cinq ans de réclusion criminelle, un verdict que l'avocat lyonnais qualifie d’"acquittement qui ne dit pas son nom". Il précise : "Je suis persuadé que ce n’était pas lui. Il y avait trop d’incertitudes pour qu’on puisse condamner quelqu’un. Malgré le risque d’une peine plus lourde, mon client a insisté, il a voulu faire appel."
"Une leçon pour beaucoup"
Il me disait : "Maître, je ne me souviens de rien, mais si je l’avais fait je m’en serais souvenu." Lors de l’appel, une nouvelle expertise vient bouleverser l'audience. Le légiste a spécifiquement suivi un stage sur les analyses de traces de sang. " Il a appris à différencier les traces primaires, secondaires et tertiaires. Et là, je repense à une goutte de sang qu’on avait retrouvée dans le couloir, hors de l’appartement, et qui n’avait intéressé personne à l’époque. Or, le témoin affirmait que les violences s’étaient déroulées exclusivement à l’intérieur. Si le sang de la victime est dans le couloir, cela remet en cause tout son témoignage."
Cette révélation devient l’élément décisif. En effet, une trace de sang primaire de la victime prouve sa présence hors de l’appartement au moment des faits. Me Charle plaide l’acquittement, expliquant que les incohérences du témoignage du seul accusateur sont trop nombreuses. Son client est ainsi acquitté, bien que l’avocat général avait requis 14 ans de prison.
"Ce procès a été une leçon pour beaucoup. J’ai vu des magistrats et des jurés passionnés, comprendre à quel point l’ADN, pourtant perçu comme une preuve irréfutable, pouvait être trompeur, si mal interprété." Depuis cette affaire, Julien Charle est régulièrement sollicité pour des dossiers liés à l’ADN, devenu l’une de ses spécialités. "Souvent, dès qu’il y avait de l’ADN dans un dossier, on arrêtait d’enquêter. On pensait que cela suffisait." Mais cette affaire prouve le contraire et a ouvert la voie à une vingtaine d’autres acquittements pour Me Charle dans des affaires similaires.
Pour lui, la justice doit toujours se remettre en question. Le pénaliste conclut par une formule qui résonne comme une maxime : "Qu'est-ce qui est le plus grave, laisser un coupable en liberté ou laisser un innocent derrière les barreaux ?" Une question à laquelle Voltaire répondait sans détours dans Zadig : "Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent."
A.AL
au couteau
Signaler Répondrehi,hi,hi
Signaler Répondrebravo Me Charle vous faites avancer la justice en cadrant l'utilisation des preuves scientifiques. nous vous serions reconnaissants d’étudier les "preuves scientifiques" du "dérèglement climatique".
Signaler RépondrePeintre et avocat en plus !
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