Jacques d'Albon appartient à la branche roannaise de la vieille famille d'Albon, originaire du Dauphiné mais installée à Lyon à partir du XIIIe siècle. C'est en fait la seule véritable famille noble de Lyon puisqu'elle remonte à Charlemagne. D'ailleurs, au XVIe siècle, on disait à Lyon "Noble comme les d'Albon".
Ils sont nombreux au sein de cette famille à avoir marqué l'histoire locale. André d'Albon fut seigneur de Curis-au-mont-d'Or entre 1250 et 1290, Humbert d'Albon était comte de Pollionnay au XIVe siècle, Jean de Lespinasse était seigneur de Bessenay au XVe…
Le père de Jacques, Jean, est lui gouverneur du Beaujolais et de la Dombes. En janvier 1510, il épouse Jeanne de la Roche, propriétaire notamment du célèbre château de Tournoël en Auvergne. Leur fils naît en 1512. Et ils vivent surtout dans le château familial de Saint-André-d'Apchon, près de Roanne.
Après la mort prématurée de sa mère, Jacques suit son père dans ses expéditions militaires menées par François 1er. Jean d'Albon de Saint-André joue un rôle important dans les guerres d'Italie. D'ailleurs, après le désastre de Pavie en 1525, c'est lui qui est chargé de négocier la libération du roi avec Charles Quint.
Destiné à devenir militaire, Jacques commence par être l'écuyer du dauphin François, puis, après sa mort en 1536, entre au service de son successeur, le futur Henri II, dont il devient très vite le favori.
Outre son statut de membre d'une famille prestigieuse reconnue par le roi, Jacques partage beaucoup de points communs avec le jeune Henri II. Très sportifs, ils aiment le Jeu de Paume ainsi que le maniement des armes et la chasse.
La femme de Jacques, Marguerite de Lustrac, unique fille d'Antoine de Lustrac et de Françoise de Pompadour, joue également un rôle dans sa réussite. Belle et riche, elle n'a que 17 ans mais est déjà avide de pouvoir et encourage l'ambition de son mari.
A la fin du règne de François 1er, les intrigues de cour sont légion. Et Marguerite de Lustrac y participe activement. Un véritable conflit de génération entre le roi et son fils secoue le pouvoir. L'un est épris d'art et de lettres, alors que le dauphin et ses favoris sont d'abord des bagarreurs, qui affirmeront d'ailleurs leur brutalité lors des guerres de religion.
Une amitié qui le propulse au sommet du pouvoir
Quand François 1er meurt le 15 mars 1547, Henri II est sacré roi de France à Reims. Immédiatement, l'entourage du roi et le personnel du gouvernement sont congédiés, notamment les conseillers comme le cardinal de Tournoi, qui avait été gouverneur de Lyon.
Henri II constitue alors autour de lui un petit comité où se retrouvent le connétable de Montmorency, le duc de Guise et bien entendu Jacques d'Albon de Saint-André.
A la mort du souverain, le Lyonnais a 35 ans. Il devient le premier gentilhomme de la chambre du roi et succède à l'amiral d'Annebaut comme maréchal de France.
Son père bénéficie aussi de cette ascension puisqu'en tant que gouverneur du Lyonnais, il se voit attribuer l'autorité sur le Bourbonnais, l'Auvergne, le Beaujolais et le Roannais.
Et c'est à Lyon que le nouveau roi Henri II commence son tour du royaume en faisant, le 23 septembre 1548, une entrée magnifique dans la ville. Un évènement mémorable pour de nombreux Lyonnais.
A l'époque, Lyon est la deuxième cité du royaume avec plus de 50 000 habitants. C'est une ville très active sur le plan commercial. Et c'est aussi la capitale du gouvernement de Saint-André père et du département militaire de Saint-André fils.
La visite royale est préparée avec grand soin par Jacques d'Albon de Saint-André. Toutes les autorités de Lyon, les notables et les délégations étrangères se pressent au devant du roi. Un long et fastueux cortège défile sous de nombreux arcs de triomphes et toutes sortes de réjouissances sont organisées : des tournois, des combats de gladiateurs, des joutes sur la Saône… Jacques d'Albon de Saint-André fait même construire un jeu de Paume entre Saint-Jean et l'Ile Barbe, où le roi peut se donner en spectacle.
Henri II termine sa visite par le château familial près de Roanne où, pendant quatre jours, il se livre à d'interminables parties de chasse.
En 1549, le roi décide de déclarer la guerre aux Anglais parce qu'ils occupent une partie de la France. A la suite d'une courte campagne, le maréchal d'Albon de Saint-André est chargé de négocier avec les Anglais et les deux royaumes signent la paix.
Le Lyonnais est ainsi nommé ambassadeur à Londres. Mais la mort de son père le 18 décembre 1549 l'empêche de traverser la Manche. Et le 14 janvier 1550, il hérite de toutes les charges de son père et devient gouverneur de Lyon, lieutenant-général pour les pays de Lyonnais, Beaujolais, Forez, Bourbonnais, haute et basse Auvergne, Marche et Combrailles. Soit un vaste territoire qui va de Trévoux à Montluçon.
Cette même année, les hostilités avec Charles Quint reprennent. Et Jacques d'Albon de Saint-André redevient un homme de guerre. Grand chef militaire, bon tacticien et guerrier courageux, il s'impose rapidement.
Il commence par envahir la Lorraine et s'empare successivement de Metz, Lunéville et Strasbourg. Ce qui permet à la France d'annexer les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun.
Le maréchal reçoit ensuite la mission d'organiser la défense des places fortes de Picardie. Là encore, c'est un succès.
Et pour le récompenser, Henri II le nomme commandant en chef de l'armée à la place d'Anne de Montmorency.
Plutôt grand, assez carré, le Lyonnais porte une longue barbe en pointe, caractéristique de cette époque. L'aristocrate est très dur avec lui-même et exigeant avec ses officiers. Il est aussi implacable, comme lorsqu'il ravage tout le pays d'Artois et transforme la région de Saint-Omer en champ de ruines pour créer un vaste no man's land entre son armée et celle de Charles Quint.
Une tactique impitoyable qui décourage ce dernier et le pousse à signer une trêve en mai 1555.
Pour récompenser Jacques d'Albon de Saint-André, le roi fait graver en son honneur la célèbre médaille qui représente un noeud gordien tranché par une épée avec cette légende : "Nodos virtute resolvo", soit "je tranche les noeuds par mon courage".
Un retour à Lyon et une mauvaise réputation locale
Après quatre ans de guerres sans interruption, il revient à Lyon pour reprendre ses charges délaissées et s'installe à l'hôtel du gouverneur, dans le quartier Saint-Jean.
Dans sa ville où les riches banquiers comme les Gadagne, Jean Kleberger ou Gondi prêtent au roi pour financer ses guerres, Jacques d'Albon de Saint-André se comporte comme un vice-roi. Avec la bénédiction d'Henri II, il fait régner l'ordre, la justice et décide des impôts.
Rapidement, on lui reproche d'être un homme avide. Le consulat composé des notables élus par les bourgeois fustige ses abus de pouvoir, ses perpétuelles augmentations d'impôts… Et il est même accusé de tourner une partie de ces derniers à son profit personnel.
Il est vrai que s'il met tout en œuvre pour faire de Lyon une grande ville européenne, avec de grandes fêtes prestigieuses, un commerce encouragé, il en tire systématiquement profit.
Jacques d'Albon de Saint-André a une fortune considérable et des propriétés partout dans la région. Et dans son château de Saint-André-d'Apchon, il mène grand train entouré d'une véritable cour.
En juillet 1557, le fils de Charles Quint, Philippe II, nouveau roi d'Espagne, lance une offensive contre Saint-Quentin dans le nord de la France. Henri II fait alors appel au maréchal lyonnais pour diriger ses troupes. Mais Jacques d'Albon de Saint-André est fait prisonnier.
La défaite reste comme l'un des plus grands désastres de l'histoire de France. Les Espagnols sont intraitables : le 3 avril 1559, Henri II est contraint de signer le traité du Cateau-Cambrésis par lequel il abandonne toute prétention sur l'Italie. La Corse est cédée aux Génois. Mais la France peut garder Calais et les trois évêchés. Par ce revers s'achèvent les guerres d'Italie qui ont duré plus de 60 ans.
Jacques d'Albon de Saint-André est libéré, mais seulement après avoir versé une grosse rançon de 60 000 écus d'or, d'ailleurs payée en partie par les Lyonnais…
Sa gloire reste intacte car c'est Montmorency, commandant général de l'armée, qui est jugé responsable de la défaite française.
Les guerres de religion
Le 10 juillet 1559, la vie du Lyonnais est bouleversée par la mort du roi Henri II au cours d'un tournoi qu'il organisait pour les fiançailles de sa fille Marguerite de France avec le duc de Savoie.
Son fils aîné François II lui succède, mais il n'a que 16 ans et se fait rapidement subtiliser le pouvoir par les Guise, qui intriguaient dans l'ombre. Ces derniers confient les rênes du pays à sa mère, Catherine de Médicis.
Mais Jacques d'Albon de Saint-André a le don pour se rendre indispensable. Se sentant menacé, il retourne la situation en sa faveur en offrant la main de sa fille Catherine à un fils de François, le duc de Guise. Si le mariage ne se fait pas, il sécurise sa place au sein du conseil royal. Et sa femme est nommée dame d'honneur de la reine Marie Stuart.
Fin stratège, le Lyonnais joue sur tous les tableaux. Il s'assure l'amitié du roi de Navarre qui penche pour le protestantisme et noue des intrigues avec le roi d'Espagne Philippe II.
En France, le règne de François II est très court. A peine un an et demi après son sacre, il meurt le 5 décembre 1560 de la tuberculose. Son frère Charles IX lui succède, il n'a que 11 ans…
La reine-mère écarte alors les Guise et affirme son autorité. Le royaume est déchiré par l'opposition de plus en plus vive entre les catholiques intégristes menés par les Guise et les réformés, les protestants dirigés par le prince de Condé, frère du roi de Navarre, et par les Coligny.
C'est le début des guerre de religion, et ça va durer 40 ans. Tout a même commencé sous François II, avec la conjuration d'Amboise. Les comploteurs protestants voulaient enlever le jeune roi pour le soustraire au pouvoir des Guise. Mais ils ont été trahis. Et c'est le maréchal d'Albon Saint-André qui est chargé de la répression et de faire exécuter les conjurés.
En représailles, les protestants constituent des groupes armés qui sillonnent la Provence ou la Gascogne pour tenter de soulever les populations. Lyon est également touchée, puisqu'un tiers des Lyonnais sont protestants, notamment les bourgeois et les commerçants. Et en septembre 1560, la Presqu'île est envahie de mercenaires engagés par les protestants.
Jacques d'Albon de Saint-André, apprenant la nouvelle, revient à Lyon pour faire régner la terreur en ville. Des protestants choisis au hasard sont atrocement torturés pour l'exemple.
A Paris, avec le duc de Guise et Montmorency, il constitue le fameux triumvirat catholique dont Catherine de Médicis se méfie. Cette dernière fait appel à Michel de L'Hospital pour favoriser un rapprochement entre chrétiens. Et le 3 janvier 1563, il publie l'édit de janvier qui reconnaît aux réformés une certaine liberté de culte. Le triumvirat s'incline temporairement. Car le 17 mars, il organise dans Paris un véritable gouvernement qui écarte de L'Hospital.
En mai, Lyon tombe aux mains des protestants. A leur tête, François de Baumont, le baron des Adrets, qui s'est déjà emparé de la ville de Valence. Ils gagnent du terrain en Auvergne, dans le Forez… Une agitation qui s'étend jusqu'à la capitale.
Bien décidé à reprendre Lyon, Jacques d'Albon de Saint-André recrute une armée composée de mercenaires qui fait fuir le baron des Adrets. Mais ce dernier, dans sa retraite, se livre à une série d'actes odieux : des massacres, des saccages, des destructions de la cathédrale Saint-Jean, des églises Saint-Irénée, Saint-Just, du cloître d'Ainay. Et à Montbrison, il oblige des catholiques à sauter dans le vide pour s'empaler sur des piques…
La brutalité du chef de file des protestants n'a d'égal que celle de Jacques d'Albon de Saint-André. La répression qu'il mène est sanglante contre les rebelles. Mais en 1562, au cours d'un assaut contre des cavaliers protestants après la bataille de Dreux, il est fait prisonnier.
Et malheureusement pour le Lyonnais âgé de 50 ans, il tombe entre les mains du chef protestant Jean Perdriel de Bobigny. Un homme dont il avait fait confisquer les biens et avait séduit l'épouse…
Autant dire que Perdriel de Bobigny ne tremble pas au moment de l'exécuter d'un tir de pistolet dans la tête le 19 décembre.
Le jeune Charles IX déplore officiellement la mort d'un guerrier de si grande valeur, mais les protestants se réjouissent de la disparition d'un ennemi aussi redoutable.
Jacques d'Albon de Saint-André fut à l'image de cette époque troublée. Intriguant, avide, sans trop de scrupules, il était cynique et brutal. Mais aussi un combattant hors pair, habile politique et stratège. Si certains Lyonnais ont retenu les fêtes prestigieuses qu'il organisait, les notables n'en ont pas gardé un bon souvenir.
Y'a un barbu comme lui dans le studio de youtubeurs de Studio Bagel.
Signaler RépondreC'était il y a bien longtemps, une époque révolue. Depuis Lyon ne produit plus de spécimens de cette trempe.
Signaler RépondreUne époque dont la violence inouïe nous permet de relativiser au sujet de notre temps ^^ ! Merci pour cet article fort intéressant .
Signaler RépondrePour être précis : les consuls n'étaient pas élus par les bourgeois, mais par les maîtres des métiers. En réalité, le système tourna à la cooptation (voyez Richard Gascon, Grand Commerce et Vie urbaine au XVIe siècle, Lyon et ses marchands)
Signaler RépondreJe m'interroge aussi : il n'est pas toujours facile de dépeindre les traits de caractère de nos propres contemporains. A fortiori, une forte incertitude pèse sur ceux de nos très lointains devanciers que nous ne jugeons que chaussés de nos propres lunettes…
On le dit chaque dimanche que ces articles sont très agréables à lire. Mais être adoubés par une descendante, c’est très fort !
Signaler RépondreAssez bien documenté votre article !
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