Qui était Frédéric Ozanam, le Lyonnais qui a voulu réconcilier l'Eglise avec le peuple ?

Qui était Frédéric Ozanam, le Lyonnais qui a voulu réconcilier l'Eglise avec le peuple ?

Béatifié par le pape Jean-Paul II, le lyonnais Frédéric Ozanam (1813-1853) est le fondateur des fameuses conférences Saint-Vincent de Paul dont la mission est de venir au secours des pauvres et des indigents. Homme d'action et de conviction, il s'est battu pour que l'Eglise s'intéresse davantage aux problèmes sociaux.

Frédéric Ozanam naît à Milan en 1813 mais sa famille s'installe à Lyon lorsqu'il a eu 3 ans. Son père, Jean-Antoine François Ozanam est bressan, et sa mère, Marie Nantas, est issue d'une famille de négociants lyonnais.

Jean-Antoine Frédéric Ozanam est médecin. Et à la chute de Napoléon et à la fin de l'Empire qu'il n'aimait pas, il rentre en France. De plus, l'Autriche a rétabli son pouvoir en Lombardie et ça ne lui plait pas non plus.

Il installe donc sa famille dans le quartier Saint-Pierre des Terreaux, rue de l'Arbre-Sec et exerce sa profession de médecin jusqu'à sa mort en 1837.

Les Ozanam sont des bourgeois, aisés mais sans plus. Jean-Antoine Frédéric Ozanam est un chrétien très pieux, considéré comme le médecin des pauvres à Lyon. Et sa femme, tout aussi religieuse, est responsable de la section de l'oeuvre des veilleuses qui soignent et veillent les malades.

Le couple a une fille et trois garçons. L'aîné, Alphonse, est prêtre. Et le deuxième frère médecin. Tous sont éduqués vers le service des autres. Un environnement qui va modeler le jeune Frédéric Ozanam.

Sa vie se déroule à une époque charnière pour le pays. C'est la Restauration qui fait suite à l'exil de Napoléon, et les régimes se succèdent jusqu'à la IIe République. Il y a de grands débats d'idées, peu de certitudes, des révolutions sanglantes, des mouvements sociaux très durs à Paris, mais aussi à Lyon…

L'industrie se développe rapidement, la bourgeoisie s'enrichit et le peuple vit encore dans des conditions très difficiles. A Lyon, la ville est mono-industrie, et ne vit que de la soie.

A l'âge de 9 ans, Frédéric Ozanam entre au Collège royal, l'actuel lycée Ampère. En classe de philosophie, un homme va le marquer profondément. Il s'agit de l'abbé Joseph-Mathias Noirot, qui sera son maître à penser. C'est un personnage important à Lyon, puisqu'il forme toute une génération de la bourgeoisie locale. Pédagogue remarquable, sa foi est profonde et il aime instaurer de véritables dialogues avec ses élèves plutôt que de leur faire de grands cours magistraux de philo.

L'abbé Noirot encourage le jeune Frédéric à se servir de sa raison et à écrire.

Défendre la foi chrétienne, mais pas aveuglément

A 16 ans, l'adolescent décide de consacrer sa vie au service de l'Eglise. Et se trace un grand dessein : l'apologétique. C'est la défense de la foi chrétienne par la démonstration de sa cohérence avec la raison.

Au fond, c'est le grand problème des intellectuels catholiques dans la première moitié du XIXe siècle. Car le siècle des Lumières a instauré le culte de la raison et la foi chrétienne est accusée d'être rétrograde, parce que contraire à la raison.

Frédéric Ozanam est un élève brillant, doté d'une maturité exceptionnelle et d'un esprit ouvert et généreux. Physiquement, il a une allure un peu chétive, le teint pâle. Fragile, il a d'ailleurs de très gros soucis de santé dans sa jeunesse.

C'est un calme, très cultivé, avec un certain humour. S'il n'hésite jamais à intervenir pour défendre ses convictions, il ne cherche pas la polémique. Polyglotte, il parle allemand, italien, espagnol et anglais. Pour lui, l'Eglise, c'est l'universalité.

Hyperactif, il mène de front oeuvres charitables, recherches intellectuelles, journalisme…

Après ses études, son père désire qu'il fasse du droit et devienne avocat. En octobre 1829, Frédéric Ozanam commence donc un stage chez un avoué lyonnais où il reste deux ans. Mais ça ne l'intéresse pas. Lui veut seulement écrire des articles.

En 1830 par exemple, il publie quatre articles où il défend l'idée que toutes les religions de l'humanité ont un fond commun. Et que ce fond commun est la vraie religion. Il n'a alors que 17 ans !

Le jeune Ozanam se fait surtout connaître lorsque les Saint-Simoniens débarquent à Lyon où ils commencent à organiser des réunions pour diffuser leurs idées. Il rédige alors une broche d'une centaine de pages pour réfuter leur doctrine, sorte de religion de l'humanité et du progrès.

C'est sa première oeuvre d'apologétique, et elle rencontre un certain succès. Notamment auprès de Lamartine et de Chateaubriand, qui lui rendent publiquement hommage.

A Paris, des rencontres marquantes

Mais son père est toujours décidé à en faire un avocat. Et il l'envoie à Paris pour poursuivre des études de droit.

A la capitale, sur recommandation de son éditeur, Frédéric Ozanam rend visite à un Lyonnais au sommet de sa gloire intellectuelle : le physicien André-Marie Ampère. Les deux hommes sympathisent immédiatement, et Ampère lui propose même de prendre pension chez lui.
Une grande intimité intellectuelle se tisse alors entre eux, et ils passent de longues heures à discuter le soir.

Frédéric Ozanam multiplie les rencontres à Paris. Il fait notamment la connaissance d'Henri Lacordaire, un prédicateur assez populaire. Séduit par ce prêtre qui incarne un catholicisme social, le Lyonnais n'hésite pas à prendre rendez-vous avec l'archevêque de Paris, Mgr Hyacinthe-Louis de Quélen, pour le convaincre de laisser Lacordaire faire des conférences à Notre-Dame, afin de toucher un auditoire à sa mesure.

Il retrouve aussi des étudiants lyonnais montés comme lui à la capitale : Amand Chaurand, Paul Brac de la Perrière, son cousin Pessonneaux. Ensemble, ces jeunes intellectuels catholiques constituent un cercle d'études historiques. Mais les discussions ne leur suffisent pas, et pour pouvoir agir, ils créent en avril 1833 la fameuse société des conférences Saint-Vincent de Paul.

C'est une société de bienfaisance qui porte secours aux pauvres. Mais l'esprit de cette oeuvre, c'est l'engagement aux côtés des pauvres. Ce n'est pas seulement leur donner de l'argent, c'est leur rendre visite, s'en occuper, payer de sa personne… Pour ces jeunes gens, la pauvreté n'est pas simplement un problème qu'il faut résoudre, c'est un bienfait. Ils se rendent compte que les pauvres leur apportent beaucoup sur le plan spirituel, et que les côtoyer devient la meilleure formation chrétienne possible.

Frédéric Ozanam est l'âme de cette fondation. Il en est aussi le théoricien, le guide spirituel et social.

Très rapidement, la société de Saint-Vincent de Paul rencontre un important succès. Ils ne sont que six à sa création. Mais au bout d'un an, une centaine de personnes la composent. Et aujourd'hui, elle regroupe plus de 800 000 membres sur les cinq continents du globe.

Frédéric Ozanam passe son doctorat en 1836 puis il revient à Lyon pour les quatre années suivantes. S'il se sent très lyonnais et attaché à sa ville, il ne se fait aucune illusion sur l'égoïsme et l'aveuglement d'une partie de la bourgeoisie locale.

Il s'inscrit au barreau de Lyon et commence à plaider. Mais comme il le pressentait, ce métier ne le passionne pas. Et décide alors de se tourner vers l'histoire. Frédéric Ozanam se consacre à celle de la civilisation du Ve au XIVe siècle, étant persuadé que le Moyen-Âge permet de montrer comment le christianisme et l'Eglise ont réussi la conquête morale de l'humanité. Il prépare une thèse sur "Dante et la philosophie catholique au XIIIe siècle", qu'il passe en 1839.

Ozanam devient docteur es lettres, et la Ville de Lyon lui demande de se charger d'un cours municipal de droit commercial, qu'il assure jusqu'en 1841. Parallèlement, il passe l'agrégation de lettres et est reçu major. Il est ensuite nommé professeur de littérature étrangère à La Sorbonne où il enseignera jusqu'à sa mort.

1841, c'est aussi l'année où il épouse Amélie Soulacroix, la fille du recteur de l'Académie de Lyon. Le couple s'installe à Paris où il mène une vie simple et modeste. Frédéric Ozanam enseigne à La Sorbonne et consacre beaucoup de son temps à la recherche et à la publication d'ouvrages, tout en continuant de s'occuper de la société Saint-Vincent de Paul.

Parler aux ouvriers plutôt que de les mépriser

Il se bat également pour que l'Eglise se préoccupe des questions sociales. Pour lui, la question ouvrière est prioritaire. Il estime que les patrons doivent considérer les ouvriers comme des auxiliaires ou des associés, et non comme des instruments de production.

Beaucoup ont fait a posteriori d'Ozanam un Karl Marx, un partisan de la lutte des classes. Une ineptie totale, car le Lyonnais constatait la lutte des classes, mais la déplorait. Jamais il ne l'a encouragée.

Convaincu que si l'Eglise ne s'ouvre pas sérieusement au milieu populaire, elle ne tiendra pas, il publie un article intitulé "Des dangers de Rome et de ses espérances". Il y expose que du VIe au IXe siècle, les grands papes Grégoire le Grand et Grégoire III, lâchés par Byzance, ont entrepris la conversion des barbares. Pour lui, les masses populaires sont les barbares de son époque, qu'il faut évangéliser et civiliser.

"Sacrifions nos répugnances et nos ressentiments pour nous tourner vers cette démocratie, vers ce peuple qui ne nous connaît pas. Poursuivons-le non seulement de nos prédications mais de nos bienfaits. Aidons-le non seulement de l'aumône qui oblige les hommes, mais aussi de nos efforts à l'effet d'obtenir des institutions qu'elles les affranchissent et les rendent meilleurs. Passons aux barbares et suivons Pie IX", écrit Frédéric Ozanam. Un ton un peu méprisant pour les ouvriers, mais il utilise le langage de son époque.

Avec Henri Lacordaire, il fonde la revue "L'Ere nouvelle", destinée à faire admettre aux catholiques l'instauration de la République et à faire en sorte qu'elle soit une République sociale.

Frédéric Ozanam se désole de voir l'hostilité des catholiques à l'encontre de la République, un véritable mouvement réactionnaire qui s'opère dès 1848. A son frère, il écrit : "Au lieu de faire alliance avec la bourgeoisie vaincue, il faudrait mieux s'appuyer sur le peuple qui est le véritable allié de l'Eglise. Pauvre comme elle, dévoué comme elle, béni comme elle de toutes les bénédictions du sauveur".

Face au soulèvement d'ouvriers parisiens qui marquent le mois de juin 1848, le Lyonnais convainc l'archevêque de Paris de s'interposer entre les émeutiers et les forces de l'ordre, lui proposant même de l'accompagner. L'archevêque accepte cette tâche, mais demande à y aller seul, estimant la tâche trop dangereuse. Une prémonition qui coûtera la vie à Mgr Denys Affre, tué d'une balle perdue sur les barricades.

En 1852, Frédéric Ozanam, dont la santé est restée fragile, est atteint par la tuberculose. Les médecins lui conseillant d'aller chercher le soleil, il se lance dans un grand voyage en Espagne et en Italie. A son retour, il meurt à Marseille puis est inhumé à Paris dans la crypte des Carmes.

L'Eglise l'a béatifié en 1997. Ce n'est pas une oeuvre mais un homme qui a été salué. Frédéric Ozanam est un saint homme dont la vie a été entièrement imprégnée et guidée par la pensée de Dieu, le don de soi aux autres. Il y a une grande cohérence entre la foi, la vie et la pensée chez le Lyonnais. C'est ça que le pape Jean-Paul II a reconnue.

Toutefois, la béatification exige l'intercession d'une grâce divine particulière. Or, un jeune Brésilien atteint d'une diphtérie maligne aurait été guéri alors que son grand-père avait passé la nuit en prière à invoquer Frédéric Ozanam.

C'est finalement le poète Lamartine qui parle le mieux du Lyonnais : "Sa tolérance n'était pas une concession, c'était un respect".

11 commentaires
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"Et sa femme, tout aussi religieuse" le 20/10/2025 à 09:46

Bonne orthographe de "tout" !

Rares restent les gens qui savent que "tout" est utilisé comme adverbe dans ce cas de figure et donc est invariable, à ne pas accorder en genre et en nombre.

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N'ayez pas peur le 19/10/2025 à 22:17
Ex Précisions a écrit le 19/10/2025 à 15h44

Un religieux qui parle philosophie, et il ne s'est pas aperçu que sa vie était un mensonge ;-)

C'est dur de suivre quelqu'un qui cherche à vous élever intellectuellement et spirituellement mais même vous vous pouvez y arriver... Enfin peut être

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ben le 19/10/2025 à 17:50
Ex Précisions a écrit le 19/10/2025 à 15h44

Un religieux qui parle philosophie, et il ne s'est pas aperçu que sa vie était un mensonge ;-)

si vous le dites

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Tatin le 19/10/2025 à 17:11

"Hozanam fut le fondateur des fameuses conférences Saint-Vincent de Paul dont la mission est de venir au secours des pauvres et des indigents."
Son nom c'est presque une analogie avec l'expression "hosanna" des Evangiles. Ce terme vient de l'expression hébraïque "hoshi'a na" qui signifie : "sauve s'il te plaît".

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A dore vrai, … le 19/10/2025 à 17:04
Huu a écrit le 19/10/2025 à 16h23

Et on s'en fout de sa vie

… je pense qu’elle vous dépasse

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Vite dit le 19/10/2025 à 16:56
Huu a écrit le 19/10/2025 à 16h23

Et on s'en fout de sa vie

c’est qui “on” ?

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Dites-nous voir… le 19/10/2025 à 16:55
Ex Précisions a écrit le 19/10/2025 à 15h44

Un religieux qui parle philosophie, et il ne s'est pas aperçu que sa vie était un mensonge ;-)

… en quoi sa vie est-elle un mensonge ?

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Ex Précisions le 19/10/2025 à 16:47
Hé non a écrit le 19/10/2025 à 16h41

Sa vie n'était pas un mensonge . Contrairement a certains de cette époque...

C'est vrai qu'aujourd'hui la politique a remplacé la religion en France, mais le mensonge demeure ;-)

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Hé non le 19/10/2025 à 16:41
Ex Précisions a écrit le 19/10/2025 à 15h44

Un religieux qui parle philosophie, et il ne s'est pas aperçu que sa vie était un mensonge ;-)

Sa vie n'était pas un mensonge . Contrairement a certains de cette époque...

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Huu le 19/10/2025 à 16:23
Ex Précisions a écrit le 19/10/2025 à 15h44

Un religieux qui parle philosophie, et il ne s'est pas aperçu que sa vie était un mensonge ;-)

Et on s'en fout de sa vie

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Ex Précisions le 19/10/2025 à 15:44

Un religieux qui parle philosophie, et il ne s'est pas aperçu que sa vie était un mensonge ;-)

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