François Barthélémy Arlès-Dufour a vécu au XIXe siècle, de l'Empire à la guerre de 1870. C'est une période de grande instabilité politique avec une succession de régimes et de révolutions. La France se cherche, hésitant entre un retour à la monarchie, un pouvoir autoritaire et une République dont on ne sait pas très bien si elle sera sociale ou libérale.
Le pays devient aussi une puissance industrielle, c'est déjà le règne de la machine à vapeur et de grandes innovations comme l'électricité commencent à s'imposer.
Lyon, elle, se développe et se modernise avec l'achèvement de l'urbanisation de ses quartiers, en particulier sur la rive gauche du Rhône. La rue de la République voit le jour, on supprime les péages sur les ponts… Et en 1852, lorsque les faubourgs de Vaise, de La Croix-Rousse et de La Guillotière sont rattachés administrativement à Lyon, la ville compte 260 000 habitants.
François Barthélémy Arlès-Dufour n'est pas né à Lyon, mais à Sète, dans un milieu de petit bourgeois. Il sert d'abord quelques temps dans l'armée impériale. Puis, en 1814, il arrive à Lyon où il devient contremaître dans une fabrique de châles. Il a alors 17 ans.
Après son séjour lyonnais, il rejoint Francfort en Allemagne où il est employé de commerce. Puis il passe à Leipzig où il travaille pour un commerçant en tissu, un certain Dufour qui descend d'un protestant français émigré après la révocation de l'Edit de Nantes.
Leur relation est si forte que le jeune homme épouse sa fille, Pauline Dufour.
Et deux ans plus tard, François Barthélémy revient à Lyon comme représentant de la maison de son beau-père. Il prend alors le nom d'Arlès-Dufour, puis il s'installe à son compte comme commissionnaire en soierie, c'est-à-dire qu'il vend de la soie en touchant au passage une commission.
Le sens des affaires
Les affaires marchent bien et il fait son trou à Lyon. En 1830, après la Révolution de juillet, il devient adjoint au maire. Et en 1832, il intègre la chambre de commerce.
François Barthélémy Arlès-Dufour sait lire, écrire et très bien compter. Il n'a pas fait de grandes études et ce n'est pas un intellectuel. Mais c'est un esprit entreprenant et imaginatif, en effervescence permanente. C'est un chef d'entreprise qui a la mystique du progrès.
En plus de son affaire de commissionnaire en soierie, il se lance dans des opérations bancaires. Il prête de l'argent à un certain nombre de commerçants et de négociants lyonnais. Notamment à ses clients car le commerce de la soie exige de très gros mouvements de fonds. Il fonde aussi la société des magasins généraux, une entreprise qui pratique l'entrepôt et le stockage des marchandises.
Ce qui lui accorde une surface économique importante. Au milieu du siècle, Arlès-Dufour réalise 500 000 francs de bénéfices par an, ce qui est colossal.
Sa richesse, parmi les plus importantes de Lyon, ne suffit pas à le définir. C'est d'abord un saint-simonien convaincu et militant.
Il suit les préceptes du comte Henri de Saint-Simon. Au XVIIIe siècle, il prédisait que l'avenir de la société passerait par son industrialisation. Et cette pensée novatrice sera mise en application par un homme peu banal : Prosper Enfantin.
François Barthélémy Arlès-Dufour et Prosper Enfantin se rencontrent en Allemagne, à Francfort. Négociant en vin, puis banquier, ce dernier a découvert le Saint-Simonisme en 1825, l'année où meurt Saint-Simon. Il fonde à Parie une communauté où les adeptes se partagent les tâches de cuisine et de ménage. L'argent est aussi mis en commun. On y vit tellement en commun que Prosper Enfantin a imaginé une redingote spéciale avec des boutons dans le dos, qui obligeait à demander de l'aide à ses frères !
Aujourd'hui, on appellerait ça une secte. D'ailleurs, vers 1830, la police commence à s'en mêler. Prosper Enfantin est considéré comme un personnage douteux, et la communauté est obligée de se disperser. Mais la pensée saint-simonienne et son culte de la méritocratie continue à avoir de l'influence, notamment chez des polytechniciens. Ce sont eux qui sont à l'origine de la création du réseau de chemins de fer français, ainsi que des plans du canal de Suez.
Prophète attitré et reconnu de ce courant de pensée, François Barthélémy Arlès-Dufour est très opposé à l'héritage et à la propriété terrienne. Pendant longtemps, il hésitera par exemple à acheter une propriété, estimant que l'argent doit servir à produire et non à être immobilisé dans des placements stériles.
Son influence à Lyon auprès des chefs d'entreprise croît, et il réussit à faire élire son ami Joseph Brosset président de la Chambre de commerce de Lyon. L'institution joue alors un rôle moteur aussi bien dans la pensée économique libérale que dans la mise en oeuvre d'un certain nombre d'initiatives.
François Barthélémy Arlès-Dufour aurait été facilement élu, mais il refuse toujours les fonctions dirigeantes, préférant user de son influence au sein d'un certain nombre d'institutions.
Il a les idées larges et déteste tout ce qui est petit bourgeois, étriqué, mesquin, borné… Il est très ouvert sur l'étranger et voyage beaucoup, surtout en Angleterre et en Allemagne.
Homme de progrès, Arlès-Dufour est aussi visionnaire. C'est lui qui imagine le percement d'un tunnel sous la Croix-Rousse pour désenclaver Vaise et relier ce quartier à la Guillotière.
C'est aussi un homme de responsabilités. En 1838, alors que ses magasins généraux sont victime d'un incendie, il dédommage tous ses clients sur son argent personnel alors qu'il n'y est pas obligé juridiquement. Mais il estime que son honneur de chef d'entreprise est en jeu. D'ailleurs, il donne sa démission de la Chambre de commerce, mais sera réélu l'année suivante, par un vote unanime.
François Barthélémy Arlès-Dufour a un certain de vie et une domesticité importante. Un homme de son envergure est obligé de recevoir. Et à partir de 1842, il achète un terrain à Oullins sur lequel il fait construire une grande maison, là où se trouve aujourd'hui le parc Chabrières, du nom de son gendre. Son fils Gustave, qui lui succèdera à la tête de ses affaires, deviendra d'ailleurs maire de la commune en 1870.
Le Crédit Lyonnais en héritage
Contrairement à d'autres grandes fortunes lyonnaises, Arlès-Dufour n'est absolument pas un mécène. Il s'intéresse d'abord à l'organisation de la société, et va jouer un rôle déterminant dans un certain nombre de réalisations clés pour la région lyonnaise : l'école centrale, l'école de commerce, la société d'enseignement professionnel, la ligne de chemin de fer Paris-Lyon-Marseille, le chemin de fer des Dombes, la société d'économie politique…
Son rôle sera également décisif dans la création du Crédit Lyonnais, qu'il confonde en 1863 avec un de ses anciens employés, Henri Germain. Là encore, il aurait facilement pu le présider, mais refuse. "J'en ai refusé la présidence mais je suis resté au conseil, ceci afin de ne pas désobliger la plupart des membres qui n'y sont venus qu'à cause de moi", écrit-il à un ami.
Son idée de base, c'est de créer une grande banque d'affaires qui favorise le développement industriel. Elle apparaît quelques années seulement après la création de la première grande banque française : le Crédit Industriel et Commercial.
Lyon a une tradition bancaire, mais les établissements, souvent de petites banques familiales, ne permettent pas de soutenir de grandes opérations ou affaires. Or, à Lyon, des industries nouvelles se développent, exigeant un important besoin en capitaux.
Au tout début, François Barthélémy Arlès-Dufour fait loger le Crédit Lyonnais au palais du commerce aux Cordeliers. La banque installe ensuite son siège en face, rue de la Ré, tout en gardant jusqu'en 1923 ses coffres dans les sous-sols du palais de la bourse. Un souterrain reliait les deux, il fut détruit en 1977 pour construire le métro A.
Le succès du Crédit Lyonnais est rapide. Et elle devient même la première banque du monde au début du XXe siècle.
François Barthélémy Arlès-Dufour aura marqué Lyon par toutes les initiatives encouragées et soutenues, notamment en matière d'enseignement. Il était à la fois très lyonnais, et pas du tout. Lyonnais par son esprit d'entreprise. Et pas du tout par le mépris qu'il avait pour ce qu'il appelait le caractère lyonnais trop conventionnel et mesquin.