Hommage : le dernier autoportrait de l'abbé Pierre

Hommage : le dernier autoportrait de l'abbé Pierre
L'abbé Pierre

L'abbé Pierre est mort il y a un an exactement, à l'âge de 94 ans. Ce Lyonnais, qui était la personnalité préférée des Français, avait accepté en 2004 de recevoir une journaliste de Lyon Mag pour revenir sur son parcours : son enfance lyonnaise dans une famille bourgeoise, son engagement chez les moines, la création d'Emmaüs... Un auto-portrait en 7 dates.

1912: Fils de soyeux lyonnais
Mon vrai nom, c'est Henry Grouès. Je suis né le 5 août 1912 à Lyon dans une famille de 8 enfants. Moi, j'étais le 5e. Mon père, Antoine Grouès, était un soyeux, administrateur d'une grande entreprise héritée de ma famille maternelle. Et on vivait alors dans une villa à la Croix-Rousse, avec une vue sur le parc de la Tête d'Or. Puis on a déménagé rue Sala, entre la place Bellecour et la gare de Perrache, pour nous rapprocher du collège des Jésuites où étaient mes frères aînés. A l'époque, la rue Sala, c'était la rue des familles bourgeoises entre les deux paroisses de Saint-Martin d'Ainay et de Saint-François de Sales. Et évidemment, on ne manquait de rien. J'ai même appris à faire du vélo dans les couloirs de l'appartement familial. Je me souviens qu'on partait en vacances chaque année, notamment au bord de la mer du Nord. Mais mes parents étaient des gens simples et généreux, pas seulement catholiques mais très engagés dans l'aide aux plus démunis. Mon père, par exemple, était barbier des miséreux à la Cité Rambaud, c'est-à-dire que chaque dimanche matin, il coupait les cheveux et rasait des mendiants qui venaient pour prendre un petit déjeuner. Et il lui est arrivé de se faire engueuler par un mendiant parce qu'il avait mal fait son travail. C'est là que j'ai compris qu'il est difficile d'être digne d'aider les plus pauvres. Mon père qui avait une santé fragile a également dirigé pendant la guerre de 14-18 un hôpital qui avait été créé dans un lycée de la Croix-Rousse. Il accueillera des prisonniers allemands blessés. Sans faire de différence avec les Français. Et pour l'anecdote, c'est là que j'ai vu pour la première fois un téléphone et une automobile. A l'école, ça a mal commencé pour moi. En 6e, j'ai dû faire signer mon carnet de notes à mon père, sur lequel il était écrit : Ce sont les plus mauvaises notes du collège ! La plus mauvaise note des 500 élèves du collège des Jésuites de la rue Sainte-Hélène. Mais au fil des années, je me suis rattrapé, notamment avec la philosophie. A 16 ans, j'ai même obtenu le prix de la sagesse, décerné par les élèves. J'avais déjà dans l'idée de devenir religieux, ce qui rendait mes parents très fiers. Alors qu'étant plus jeune, je répétais que je voulais être marin ou brigand ! D'ailleurs, au moment de mon adolescence, j'ai commencé à me révolter. J'étais alors responsable d'un petit groupe de prières au collège. Et le père qui encadrait ce groupe a décidé un jour d'exclure tous les scouts, sous prétexte que le scoutisme était trop proche du protestantisme anglais. Sauf moi car j'étais le responsable du groupe. Du coup, j'ai décidé de démissionner. Ce qui a été mon premier acte politique car vous ne pouvez pas vous imaginer les remous que ça a provoqués. D'autres collèges ont été prévenus. A tel point que le supérieur du collège a dû revenir sur cette décision. Mais mon adolescence a aussi été marquée par la maladie. J'ai passé un an en convalescence à Cannes puis à la montagne. Pour une sorte de dépression. En fait, j'étais tombé fou de passion pour un de mes camarades qui chantait dans la chorale du collège et qui avait une voix de soprano splendide. Ça n'avait rien à voir avec de l'homosexualité. Mais j'étais en adoration devant ce garçon et je voulais être son seul ami. A tel point que je souffrais, j'étais fiévreux, je ne dormais plus... Et mes parents ont dû se résoudre à m'envoyer dans le sud de la France pour que je reprenne des forces. Quand je suis revenu à Lyon, je suis devenu chef de patrouille chez les scouts et tout est rentré dans l'ordre. C'est là que j'ai décidé d'entrer chez les Capucins.

1931 : Prêtre chez les Capucins

A 19 ans, j'ai quitté Lyon, une ville à laquelle je reste aujourd'hui très attaché. Même si je n'y viens presque jamais. D'ailleurs, ma famille a toujours une propriété à Irigny. Mais j'ai renoncé à ma part d'héritage en 1931 par acte notarié. Et j'ai distribué tout ce que je possédais à différentes œuvres de charité pour entrer au noviciat de Saint-Etienne, chez les Capucins. Je rêvais alors d'être un saint, j'étais vraiment naïf ! Mais ce qui m'attirait aussi dans cet ordre, c'était le temps qu'ils consacraient à l'adoration de Dieu et leur proximité avec les plus pauvres. Le problème, c'est qu'avant d'être ordonné prêtre, il fallait passer six années à suivre des cours de philosophie et de théologie dans des conditions très dures. On dormait peu, on ne devait pas parler... et très vite, je suis tombé malade. Pas à cause de ces conditions de vie. Mais parce que la coutume voulait qu'on fasse équipe avec celui qui était entré au noviciat juste avant soi. Or moi, je suis tombé sur le père Firmin, un militant syndicaliste qui ne pouvait pas me supporter. Lui avait choisi la pauvreté en sachant ce que c'était, alors que moi, j'étais un gosse de riche qui voyait la pauvreté comme un idéal. Ça ne pouvait pas coller entre nous et c'est vite devenu invivable. Même si je comprends aujourd'hui à quel point j'ai pu le faire souffrir et l'agacer. En tout cas, j'ai finalement été ordonné prêtre le 24 août 1938. Et j'ai renoncé à être capucin. Et c'est comme ça que je me suis retrouvé à Grenoble. D'abord, comme aumônier dans une institution publique de la Côte-Saint-André. Ce qui m'a permis de rencontrer et d'engager le dialogue avec des instituteurs particulièrement anticléricaux. Puis je suis devenu vicaire à la cathédrale de Grenoble en 1942. Entre-temps, j'avais été mobilisé comme sous-officier pour remonter la vallée de la Maurienne et réquisitionner 80 chevaux et du fourrage pour la ligne Maginot. Mais il y a eu l'armistice. Et je suis revenu à Grenoble.

1942 : Résistant à Grenoble

En 1942, deux semaines après ma nomination comme vicaire à Grenoble, deux hommes ont frappé à ma porte en pleine nuit pour me demander de l'aide. C'étaient deux juifs qui avaient été prévenus par leurs voisins de la rafle que préparait la gendarmerie française. C'était deux semaines après la rafle du Vel d'Hiv. En tout cas, c'est ce jour-là que je suis devenu résistant. J'ai hébergé ces deux hommes dans ma chambre et je leur ai donné du fromage et du pain que j'ai dérobés dans le garde-manger du curé. Le lendemain, j'ai essayé de les cacher c

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