Eric Dupond-Moretti à Lyon : greffiers en colère et sondage bidon

Eric Dupond-Moretti à Lyon : greffiers en colère et sondage bidon
Eric Dupond-Moretti accompagné de Thomas Rudigoz, Nicolas Jacquet, Michaël Janas et Alexandre Vincendet, ce mardi

Le ministre de la Justice était en visite au Tribunal judiciaire de Lyon ce mardi matin. Au programme, un échange avec les professionnels du droit officiant dans le nouveau palais de justice ainsi qu’une rencontre avec le “comité des usagers” de la justice.

Alors que le Garde des Sceaux prenait place dans la salle, une trentaine de magistrats et greffiers en robe lui ont tourné le dos en brandissant de petites affiches de protestation. 

Ambiance électrique au tribunal

Une action faisant écho à la mobilisation des greffiers lundi, en fin de matinée, qui s’étaient réunis pour demander plus de moyens pour les greffes et de meilleures rémunérations. 

Agité, Eric Dupond-Moretti a menacé de quitter la salle. “Si vous voulez que je m'en aille, je peux le faire (...), mais moi je suis venu pour vous faire face, pas pour vous tourner le dos", s’est exclamé le ministre face à une salle hostile, avant d’ajouter : "c'est une façon très discourtoise d'accueillir le ministre de tutelle", suscitant de grands éclats de rire sarcastiques. 

Après de courtes prises de parole lisses et révérencieuses, comme celle de Catherine Pautrat, première présidente de la Cour d’appel de Lyon, Eric Dupond-Moretti a employé son propos introductif à défendre son bilan. 

“Vos difficultés et vos charges de travail sont des choses qu'il faut entendre et qui m'obligent (...) mais je n'ai pas de baguette magique et je n'ai pas la possibilité de tout régler en un claquement de doigts, et je ne peux pas être le réceptacle de toutes les frustrations”, a tenté de temporiser le Garde des Sceaux. 

Des propositions insuffisantes

Le ministre, après avoir rappelé les augmentations de budget qu’il a pu négocier pour la justice depuis sa prise de poste en juillet 2020, a présenté aux professionnels du droit en présence des gages de bonne foi à même de faciliter leur tâche. 

Le “Projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027” propose notamment de hausser le budget judiciaire à 11 milliards d’euros à l’horizon 2027, ce qui représenterait une augmentation budgétaire de l’ordre de 60%. Ce texte viserait également à embaucher massivement de nouveaux magistrats, greffiers et surveillants pénitentiaires. 

“Avocats et attachés de justice pourront entrer dans la magistrature” par des voies plus simples et rapides qu’auparavant, assura notamment le ministre, tout en promettant une “déconcentration de la justice” qui permettrait aux différentes juridictions de s’émanciper du ministère pour les questions informatiques, immobilières ou de ressources humaines. 

Pour ce qui est du tribunal judiciaire de Lyon, “Acquitattor” a promis neuf nouveaux magistrats du Siège, quatre magistrats du Parquet, onze greffiers, dix-huit adjoints administratifs et quatre-vingt-douze contractuels supplémentaires d’ici la fin de l’année. 

"La condition de la justice, elle s'est améliorée depuis que je suis Garde des Sceaux"

Après un monologue ministériel ponctué de brèves réactions de l’audience, est venu le moment tant attendu des prises de parole des professionnels du droit, greffiers en tête. Ces derniers, sans qui les audiences ne peuvent se tenir, se disent “épuisés”. Le premier greffier à prendre la parole est rapidement interrompu par le ministre. “Je veux un échange, ne me lisez pas votre truc", s’exaspère-t-il sous les huées. “Ne pensez-vous pas que le temps est enfin venu d'arbitrer en faveur des greffiers ?”, lui rétorque alors le scribe sous un tonnerre d’applaudissements, qui regrette que sa profession soit trop souvent oubliée des revalorisations des grilles salariales de la fonction publique. 

Une autre greffière fait part à son tour de son épuisement et de sa charge de travail qui équivaudrait selon elle à celle de trois personnes.

“La justice n'est rien sans nous et on demande de la considération ! (...), la seule manière d’avoir cette considération, monsieur le ministre, c’est en bas à droite de notre fiche de paie”, s’exclame la greffière en colère.

"Je fais tout ce que je peux pour que les modifications que vous attendez, je puisse les obtenir", précise alors le ministre de la justice, avant de rappeler peu après que malgré les complaintes répétées, "la condition de la justice, elle s'est améliorée depuis que je suis Garde des Sceaux".

Après un échange très tendu, un sondage bidon pour remonter le moral

Après cet échange long et mouvementé, le président du Tribunal judiciaire, Michaël Janas, réservait une petite surprise à son ministre de tutelle. Une rencontre beaucoup plus révérencieuse, lisse et polie avec le “comité des usagers” du Tribunal, unique en France. 

Le comité, dont la mission est de replacer “les Lyonnais au cœur de leur justice”, est composé d’une dizaine de membres dont deux étudiantes en droit, un représentant d’APF France Handicap, une sociologue, une représentante d’association d’aide aux victimes et de quelques retraités. 

Après la présentation de chacun des membres est venu le temps de dévoiler au ministre les résultats d’un questionnaire portant sur la perception de la justice par ses justiciables lyonnais. 

L’enquête, menée par des étudiants en droit de l’Université Jean-Moulin Lyon III auprès de 335 justiciables, est présentée à l’aide de slides de diaporama et de camemberts colorés et tout, dans ce sondage improvisé, conforte le ministre dans l’idée que la justice ne se porte pas si mal. 

La méthodologie employée et la nature des questions posées aux sondés sont commodément aux abonnés absents du document. De même, toutes les couleurs des camemberts se ressemblent et aucun pourcentage n’est clairement détaillé. 

Seules quelques légendes non-sourcées viennent annoncer que “près de 69% des usagers interrogés ont confiance en la Justice” ou que “90% des usagers sont satisfaits de la courtoisie des agents du Tribunal”, sans que les “ne se prononce pas” soient compris dans le calcul. 

“Le discours tenu par les justiciables n'est pas aussi critique qu'on aurait pu l'imaginer”, explique dans un drôle de lapsus Olivier Gout, doyen de la faculté de droit de Lyon III.

“Ce sont autant de bonnes nouvelles pour le service public de la justice, surtout dans le climat actuel”, se réjouit le Doyen.

Eric Dupond-Moretti, devant le comité, salue l’initiative pédagogique qui vise à instruire les Lyonnais sur le fonctionnement du tribunal et des procédures judiciaires. “Il ne faut pas que les gens soient dans le fantasme”, acquiesce le Garde des Sceaux qui regrette qu’un "fantasme de la justice laxiste" subsiste dans l'esprit de la population.

J.B

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