La Commune de Lyon : comment les révoltes des républicains extrémistes ont changé le visage de la ville

La Commune de Lyon : comment les révoltes des républicains extrémistes ont changé le visage de la ville

Les républicains extrémistes à Lyon vont se révolter à deux reprises en septembre 1870 et en avril 1871. Une période passionnante, avec une visite de Mikhaïl Bakounine et la mort violente du commandant Arnaud. Et qui aura des conséquences politiques, économiques et religieuses très importantes pour la ville.

A Lyon, depuis des années, la plupart des républicains qu'on appelle exagérés mais qu'on peut qualifier d'extrémistes, sont des ouvriers favorables à une république sociale et anticléricale. Une république où le peuple aurait le pouvoir et où les richesses seraient mieux partagées avec les pauvres.

Les Lyonnais ont une dent contre Napoléon III, à qui ils reprochent d'avoir supprimé les libertés fondamentales, fait emprisonner des ouvriers républicains lors de son coup d'Etat, mais aussi d'avoir mis fin à la mairie centrale de Lyon en 1852 et d'avoir censuré la presse. D'ailleurs, lorsqu'il demande aux Français d'approuver sa réforme institutionnelle le 8 mai 1870, 70% des Lyonnais le désavouent.

En septembre 1870, ils profitent donc de la proclamation de la République pour passer à l'action.

Napoléon III s'est retrouvé progressivement piégé par sa politique de plus en plus libérale, qui a permis aux républicains de s'organiser et de mieux le contester. La guerre contre la Prusse initiée le 19 juillet 1870 et la défaite de Sedan le 2 septembre, entraînant la capture de Napoléon III par les Prussiens, entraînent la proclamation deux jours plus tard de la République. D'abord à Lyon, puis dans le reste du pays.

Dans les rues des quartiers populaires comme la Guillotière, Vaise ou la Croix-Rousse, les Lyonnais paradent et se rendent sur la place des Terreaux le 4 septembre. Ils ne rencontrent aucune résistance, car les représentants du pouvoir sont impuissants depuis l'emprisonnement de Napoléon III. Et après avoir mis la main sur un buste en bois de Marianne dans les greniers de l'Hôtel de Ville, ils l'exhibent au balcon face à la foule en scandant "Vive la République !". Le drapeau rouge est ensuite installé sur le domaine du bâtiment, des statues de Napoléon III sont vandalisées et des prisonniers politiques sont libérés. Ce même jour, la rue Impériale, future rue de la République, est rebaptisée rue de Lyon.

A la tête de ces républicains extrémistes, on retrouve Albert Richard, ouvrier de la soie, faisant partie de l'Association internationale des travailleurs fondée à Londres en 1864 et dont la direction est disputée par Karl Marx et Pierre-Joseph Proudhon.
Chez les républicains plus modérés, le député Désiré Barodet et le médecin Jacques-Louis Hénon sont favorables à une République où la propriété privée est respectée. Ils se méfient du peuple.

Ce sont ces derniers qui prennent le pouvoir à Lyon. Et Jacques-Louis Hénon est élu maire par la population à la mi-septembre 1870. C'est un vieux militant républicain, réputé pour sa générosité car il soigne gratuitement les Canuts à La-Croix-Rousse. Peu charismatique et assez discret, il est choisi par la bourgeoisie lyonnaise qui utilise ses réseaux maçonniques pour l'imposer à la mairie.

Mais le 28 septembre, les républicains extrémistes tentent de lui ravir le pouvoir. Deux jours plus tôt, Albert Richard avait fait venir à Lyon l'anarchiste Mikhaïl Bakounine, qui vivait dans le Jura suisse.

Les deux hommes se connaissent car ils appartiennent à l'Association internationale des travailleurs. Et ils sont persuadés que la capitale des Gaules peut servir de base de lancement d'une révolution qui s'étendrait ensuite aux autres pays pour une société sans Etat ni religion. Selon eux, les Lyonnais ont cela dans le sang, après les révoltes des Canuts en 1834 et celle des Voraces en 1848.

Issu d'une famille d'aristocrates russes, mesurant près de 2 mètres, Mikhaïl Bakounine est un leader suffisamment charismatique pour mener les républicains extrémistes. Ils parviennent à s'emparer de l'Hôtel de Ville. Et le 28 septembre, il prononce un discours au balcon pour inciter les Lyonnais à se soulever pour construire un monde nouveau.

Sauf que son appel ne fait pas mouche. Et Désiré Barodet, adjoint au maire, ordonne à la garde nationale de l'arrêter en compagnie d'Albert Richard et de leurs militants les plus proches. Faits prisonniers, ils sont ensuite expulsés vers la Suisse.

Refroidi par cet épisode, Bakounine qualifiera Lyon de ville de petits bourgeois dont on ne peut rien tirer.

Le sang coule en Bourgogne, la menace prussienne terrorise les Lyonnais

Entre Rhône et Saône, le calme est ainsi rétabli, temporairement. Car lorsque Jacques-Louis Hénon envoie des volontaires lyonnais pour se battre contre les Prussiens à Nuits en Bourgogne le 19 décembre 1870, des centaines d'entre eux meurent. Et à Lyon, la peur d'être envahis par la Prusse se fait pressante. Les républicains extrémistes en profitent pour accuser la mairie d'être responsable de cette défaite de la France en Bourgogne.

En découle l'un des épisodes les plus violents de l'histoire moderne de la ville. Le 20 décembre, les exagérés font sonner les cloches des églises du plateau de la Croix-Rousse pour faire croire à l'invasion imminente des Prussiens. Et alors qu'un millier de personnes se retrouvent sur les hauteurs de Lyon, un discours hostile à la mairie et aux républicains modérés est distillé par certains orateurs parmi la foule.

Face à cette colère croissante, le commandant du 12e bataille de la garde nationale, Antoine Arnaud, se rend, sabre à la main, place de la Croix-Rousse, pour veiller au maintien de l'ordre. Mais arrivé sur place, et alors qu'on l'accuse de vouloir faire ouvrir le feu sur la foule, il est attaqué par les manifestants qui se jettent sur lui, le frappent avant de l'emmener de force dans la salle Valentino où se déroulent habituellement des réunions politiques.

"A mort, fusillez-le !", scandent les Lyonnais, qui font de lui le symbole de l'autorité et un représentant de la municipalité.

Jugé sommairement par un tribunal improvisé, le commandant Arnaud est condamné à mort. On l'emmène alors jusqu'au Clos Jouve en passant par le boulevard de la Croix-Rousse. Sur le chemin, des femmes sortant d'une usine de cartouches à Cuire rejoignent le cortège avec un drapeau noir, en signe de deuil pour les victimes de la bataille de Nuits.

Au Clos Jouve, juste avant d'être fusillé, Antoine Arnaud ouvre sa veste et crie "Vive la République, vive Garibaldi".

En représailles, le maire Hénon fait ensuite arrêter 100 personnes dont 4 sont condamnées à mort.

Lors de l'enterrement du commandant Arnaud le 22 décembre, le célèbre député républicain Léon Gambetta prononce un discours en opposant deux républiques : une terroriste et l'autre respectable.

La Commune éphémère de Lyon

A l'approche du printemps 1871, la Commune de Paris réveille à nouveau les ardeurs des exagérés lyonnais. Et le 23 mars, plusieurs centaines de Canuts républicains tentent d'abord d'établir une Commune à la Croix-Rousse, sans succès. Puis fin avril, ce sont plusieurs milliers de Lyonnais, ouvriers pour la plupart, qui créent la Commune de la Guillotière, en soutien aux insurgés parisiens. Dans le quartier, des affiches où on peut lire "Vive la république démocratique et sociale universelle" sont placardées.

Mais le mouvement insurgé ne dépasse pas les frontières de la Guillotière, quartier d'immigrants où l'Eglise a très peu d'influence. "Ici, je suis au milieu des Apaches", écrivait ainsi dans les années 1860 le père Antoine Chevrier, fondateur de l'Institut du Prado et alors vicaire de la Guillotière.

Si des barricades sont érigées le long de la Grande rue de la Guillotière, les membres de La Commune de Lyon ne sont pas assez nombreux, ni suffisamment armés. Jacques-Louis Hénon fait donc envoyer la garde nationale qui réprime la révolte en une seule journée, faisant quelques dizaines de morts. Ce qui permettra au maire de gagner l'estime d'Adolphe Thiers.

Mais le remplaçant de ce dernier à la tête du gouvernement, le maréchal Patrice de Mac Mahon décide de sévir et de mettre en place une politique d'ordre moral. A Lyon, le préfet Joseph Ducros fait arrêter les républicains, interdit les enterrements de 6h à 19h pour les empêcher de se transformer en manifestations et supprime à nouveau la mairie centrale.

L'Eglise réagit également, s'étant rendue compte de son absence sur la rive gauche du Rhône. Des paroisses et des cercles ouvriers catholiques sont ainsi créés, pour favoriser l'essor d'un catholicisme social. Et la construction d'une certaine basilique de Fourvière est lancée.

La violence des républicains extrémistes va aussi convaincre les marchands de soie de délocaliser leurs ateliers. Au revoir la bouillonnante Croix-Rousse, bonjour la campagne plus tranquille. Cela marque le début du déclin de la soie à Lyon, qui avait pourtant régné pendant plus de deux siècles sur la ville. Et cela permettra alors aux industriels d'implanter à la place des activités chimiques et métallurgiques dans les années 1880.

13 commentaires
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roulette russe le 22/07/2025 à 23:03
Alcofribas a écrit le 20/07/2025 à 16h48

À cette époque, le maintien de l'ordre incombait à l'armée. les Cuirassiers ont chargé sur le cours des Brosses (aujourd'hui cours Gambetta) et, pendant longtemps, on put voir à l'entrée de la rue de la Guillotière une enseigne criblée de balles. IL faut remarquer que Lyon fut l'une des rares villes qui eussent fait échu aux évènements de la Commune de Paris.

Alcofribas, excusez moi de paraitre obtus, mais que signifie cette phrase ?
"IL faut remarquer que Lyon fut l'une des rares villes qui eussent fait échu aux évènements de la Commune de Paris. "

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Mont Monnet le 22/07/2025 à 00:07

Les causes et les conséquences des communes insurrectionnelles en France (Lyon, Paris, Marseille, Creusot...) sont toujours actuelles et ne sont ni à oublier, ni à négliger... Vous savez, certains slogans des communards doivent faire réfléchir.

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Vecteur12' le 21/07/2025 à 09:08
Un gauchiste. a écrit le 20/07/2025 à 16h06

À Lyon Mag, on qualifie "d'extrémistes" les communards qui souhaitent "une république sociale et anticléricale. Une république où le peuple aurait le pouvoir et où les richesses seraient mieux partagées avec les pauvres", et de "modérés" ceux qui se "méfient du peuple".
Beau travail de chien de garde de la bourgeoisie radicalisée en tout cas !

Dans le sang et la violence : c'était donc très modéré....

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LFI 69 le 21/07/2025 à 09:03

L'histoire démontre que la bourgeoisie s'est accaparée le pouvoir républicain en tirant sur le peuple, cela rappelle le pouvoir actuel quand Macron faisait tirer sur les gilets jaunes.

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exactement le 21/07/2025 à 07:54
Un gauchiste. a écrit le 20/07/2025 à 16h06

À Lyon Mag, on qualifie "d'extrémistes" les communards qui souhaitent "une république sociale et anticléricale. Une république où le peuple aurait le pouvoir et où les richesses seraient mieux partagées avec les pauvres", et de "modérés" ceux qui se "méfient du peuple".
Beau travail de chien de garde de la bourgeoisie radicalisée en tout cas !

+1000

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Grand gognand le 21/07/2025 à 07:46

Bravo Lyon mag pour ce petit cours d'histoire lyonnaise...

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Avion de chasse le 20/07/2025 à 17:58
Un gauchiste. a écrit le 20/07/2025 à 16h06

À Lyon Mag, on qualifie "d'extrémistes" les communards qui souhaitent "une république sociale et anticléricale. Une république où le peuple aurait le pouvoir et où les richesses seraient mieux partagées avec les pauvres", et de "modérés" ceux qui se "méfient du peuple".
Beau travail de chien de garde de la bourgeoisie radicalisée en tout cas !

Vous avez raison .
Ceux qui se méfient du peuple ne sont pas des " modérés".
Juste des " lucides".

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Intéressant le 20/07/2025 à 17:50

Article très intéressant, 2 points confirmés se dégagent :

- Lyon est décidément une ville très chargée en histoire, même les Lyonnais n'en connaissent qu'une toute petite partie. Il faut reconnaître que c'est assez impressionnant

- les humains des siècles passés étaient aussi cons, tarés et des tocards que ceux de cette époque dite 'moderne' . Déjà a l'époque les mecs étaient tarés et débiles. Les siècles passent et l'humain ne progresse pas.
Qu'est ce qu'ils étaient cons a l'époque.

Rares sont ceux qui auront réussi à dépasser cette condition militante envers l'harmonie entre êtres humains.


Ah j'entends déjà les offusqués. Bah c'est une réalité, une constante observable que cela vous plaise ou pas.
Cela confirme juste que jamais dans toute son histoire l'humanité n'aura réussi à bâtir des villes, société et civilisation stables et respectables.
Les cœurs humains sont décidément bien fragiles et facilement corruptibles

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Alcofribas le 20/07/2025 à 16:48
BROSSET a écrit le 20/07/2025 à 15h28

Un grand merci à Lyon Mag pour cet article historique, captivant et très bien détaillé sur une période de l'histoire, que peu de lyonnais connaissaient !
Bravo, ça change des sordides faits divers !

À cette époque, le maintien de l'ordre incombait à l'armée. les Cuirassiers ont chargé sur le cours des Brosses (aujourd'hui cours Gambetta) et, pendant longtemps, on put voir à l'entrée de la rue de la Guillotière une enseigne criblée de balles. IL faut remarquer que Lyon fut l'une des rares villes qui eussent fait échu aux évènements de la Commune de Paris.

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Memphis le 20/07/2025 à 16:47
Un gauchiste. a écrit le 20/07/2025 à 16h06

À Lyon Mag, on qualifie "d'extrémistes" les communards qui souhaitent "une république sociale et anticléricale. Une république où le peuple aurait le pouvoir et où les richesses seraient mieux partagées avec les pauvres", et de "modérés" ceux qui se "méfient du peuple".
Beau travail de chien de garde de la bourgeoisie radicalisée en tout cas !

..... LE DISQUE EST RAYÉ

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ℒe ∁HA∁Aℒ le 20/07/2025 à 16:10

On va appeler Madame de Servient pour bloquer le pont?

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Un gauchiste. le 20/07/2025 à 16:06

À Lyon Mag, on qualifie "d'extrémistes" les communards qui souhaitent "une république sociale et anticléricale. Une république où le peuple aurait le pouvoir et où les richesses seraient mieux partagées avec les pauvres", et de "modérés" ceux qui se "méfient du peuple".
Beau travail de chien de garde de la bourgeoisie radicalisée en tout cas !

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BROSSET le 20/07/2025 à 15:28

Un grand merci à Lyon Mag pour cet article historique, captivant et très bien détaillé sur une période de l'histoire, que peu de lyonnais connaissaient !
Bravo, ça change des sordides faits divers !

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