L'homme qui a fait tomber Millon

L'homme qui a fait tomber Millon

A la surprise générale, Charles Millon n’a pas été élu sénateur de l’Ain en septembre dernier. A l’origine de ce bide : Jean Chabry, le maire de Jujurieux. Interview musclée.

Comment vous êtes entré en politique ?
Jean Chabry : Par hasard. En 1991, j’habitais à Bonnefamille à côté de Saint-Quentin-Fallavier. Mais quand la deuxième piste de l’aéroport de Satolas a été construite, on avait les Boeing dans la cuisine ! Du coup, on a déménagé à Jujurieux pour se rapprocher de ma famille qui est originaire de l’Ain. Et quatre ans plus tard, je suis devenu maire de la commune. Puis conseiller général en 1998. Et vice-président du conseil général en 2004.
Et pourquoi vous vouliez devenir sénateur ?
Parce que j’ai été patron pendant 22 ans d’Elektrosta Diffusion, une entreprise basée à Vaulx-en-Velin, qui réalise 15 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec une centaine de salariés. Du coup, j’ai eu la vanité de croire que, vu mon expérience, je pourrais faire un bon sénateur.
Comment s’est déroulée la campagne dans l’Ain ?
Ça a été assez chaud. Notamment les primaires à droite, que j’ai boycottées, pour deux raisons. D’abord parce que je me suis toujours opposé au retour de Charles Millon en politique. Mais aussi parce que je savais que les responsables de l’UMP dans l’Ain allaient favoriser coûte que coûte son retour, car ils lui doivent leur carrière. Et ça n’a pas raté, puisqu’ils ont changé les règles du jeu la veille du scrutin.
Quelles règles ?
Normalement, les grands électeurs qui ne pouvaient pas venir voter devaient pouvoir donner une procuration à un autre grand électeur. Mais ça n’a finalement pas été possible. Ce qui avantageait Millon, car chez ses partisans, il y avait surtout les notables de l’Ain. Alors que les maires des petites communes, qui ne pouvaient pas forcément se déplacer, étaient plutôt hostiles à son retour. Résultat : Millon a obtenu l’investiture de l’UMP pour les élections sénatoriales.
Alors pourquoi il n’a pas été élu ?
Parce qu’au deuxième tour, les petits candidats de gauche se sont retirés au profit du socialiste Rachel Mazuir et du divers-gauche Jacques Berthou, qui ont été élus sénateurs. Alors qu’à droite, j’ai mené le front anti-Millon en me présentant au second tour. Et j’ai bénéficié de certaines voix, comme celles du Modem et du maire de Meximieux Christian Bussy, qui a quitté l'UMP pour dénoncer cette manœuvre des primaires. Du coup, Millon a été battu. Et seule Sylvie Goy-Chavent a été élue pour l’UMP.
Vous avez subi des pressions ?
Oui, les députés UMP Etienne Blanc et Charles de la Verpillière se sont relayés pour me faire plier. Ils ont joué sur tous les registres, de la douceur à la violence. En me faisant par exemple clairement comprendre que si je ne me retirais pas, ma vie politique était finie. Mais je n’ai pas craqué. Car même si je n’avais aucune chance d’être élu sénateur, mon objectif était clair : faire perdre Millon.
Pourquoi vous êtes contre le retour de Millon en politique ?
D’abord pour des raisons éthiques. Car dès 1998, j’ai dénoncé son alliance avec le Front national pour conserver la présidence du conseil régional. Et il n’a jamais fait son mea culpa.
Pour vous, Millon, c’est un facho ?
Ce n’est pas un fasciste, même s’il fait partie de cette droite ultralibérale que je condamne. De plus, il est très influencé par sa femme, Chantal Delsol, qui est très conservatrice. Mais l’épisode de 1998 montre surtout que c’est un opportuniste prêt à tout pour conserver le pouvoir. Quitte à pactiser avec l’extrême-droite.
Mais il affirme qu’il a seulement fait du Sarkozy avant l’heure !
Ça n’a rien à voir. Millon a passé un accord politique avec les dirigeants du Front national. Alors que Sarkozy s’est simplement adressé aux électeurs du FN pour les séduire.
D’autres raisons pour vouloir vous débarrasser de Millon ?
Oui, Millon est en fait une machine à perdre. C’est simple, 1998 a été le point de départ du recul de la droite dans le département de l’Ain. Dès les cantonales de 1998, la gauche a gagné sept cantons. Puis elle a pris le conseil général en 2007. Alors que les grandes villes comme Bourg-en-Bresse ou Belley ont également basculé en mars dernier. Même schéma à Lyon où la liste dissidente de Millon a provoqué en 2001 la division à droite et la victoire de Collomb. Et la droite lyonnaise ne s’est jamais remise de ce traumatisme.
Mais reconnaissez que Millon c’est un pro de la politique !
Justement, c’est ce que je lui reproche. Car il fait partie de ces politiques qui ont besoin du pouvoir pour exister. Pour eux, le pouvoir est une véritable drogue. Sans ce pouvoir, ils ne sont rien. Voilà pourquoi ils sont prêts à tout pour revenir dans le circuit. Ce qui finit par discréditer la politique. Mais on assiste à un mouvement d’assainissement. Millon a raté son retour, comme Chabert à Lyon, Carignon à Grenoble...
Vous n’avez pas peur des représailles ?
Si, je sais que ma petite carrière locale est compromise. Car ils vont employer les grands moyens aux prochaines cantonales pour me déloger du conseil général.
Aucun regret ?
Non, je suis droit dans mes bottes et fidèle à mes convictions. Contrairement à certains politiciens, je ne cherche ni titre, ni pouvoir, ni argent. Ce qui me donne une vraie liberté.
Je suis le fils du facteur de Saint-Paul-de-Varax et le cadet d’une famille modeste de cinq gosses. L’ascenseur social pour moi, ça a été l’école publique. Donc je me suis toujours dit que si je réussissais, je renverrais l’ascenseur. Voilà pourquoi je me suis engagé en politique, pour servir l’intérêt général. Pas pour m’acoquiner avec ces loustics.
Votre avenir ?
Plusieurs élus qui en ont ras le bol de ces combines politiciennes vont me rejoindre pour créer un nouveau groupe au conseil général de l’Ain, entre la majorité de gauche et l’opposition de droite. Et on votera avec l’exécutif au coup par coup, selon les dossiers.
Finalement, c’est vous le grand vainqueur de ces sénatoriales ?
C’est possible, mais il ne faut pas le dire ! Car je vais déjà me faire assassiner après cette interview !

Propos recueillis par Thomas Nardone

Un insoumis
Massif, des mains de bûcheron, un regard perçant, une tignasse blanche... Il suffit de rencontrer Jean Chabry pour comprendre que c’est pas le genre à se laisser intimider. Le style paysan de l’Ain, malin, rebelle. Il parle calmement, en pesant ses mots pour appuyer où ça fait mal. Totalement imperméable aux modes mais également aux pressions.
Pas étonnant que ce père de deux enfants, qui a cédé à son fils son entreprise de fabrication de matériel de soudage électrique, se soit lancé, malgré ses 63 ans, dans ce combat pour empêcher le retour de Millon en politique. Depuis 1998, il n’a jamais baissé les bras, au nom d’une certaine idée qu’il a de la politique. Et il vient de réussir son coup en empêchant Millon de se faire élire sénateur. Sympa et bon vivant, Jean Chabry est au fond un vrai insoumis. Il vient d’ailleurs de se faire suspendre son permis de conduire pour deux mois après avoir été flashé à 200 km/h au volant d’une Mercedes. Mais alors qu’il aurait pu faire sauter le PV pour une erreur de procédure, il a préféré assumer et reconnaître son erreur. Rien à voir, effectivement, avec Millon.

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