Rares sont les personnes à y accéder, en dehors des surveillants et des personnes qui purgent une peine. Alors que l’établissement pénitentiaire connaît actuellement un important cluster avec plus de 130 cas de Covid-19, la rédaction a tenu à vous faire partager une partie du dossier paru initialement dans le magazine LyonMag du mois de janvier.
Le temps est gris, l’ambiance glauque. Nous arrivons peu après 10h30 sur le grand parking de l’établissement pénitentiaire. Coincée dans une zone d’activités, elle-même traversée tous les jours par de nombreuses semi-remorques, la maison d’arrêt de Corbas est l’une des prisons les plus importantes de la région.
Les places réservées pour les visites sont toutes prises, il faut se faufiler entre les véhicules pour stationner, tant les parloirs sont plébiscités par les familles des personnes emprisonnées à quelques dizaines de mètres de là, derrière l’impressionnant grillage, puis les murs de l’enceinte.
Véritable pierre angulaire dans la réponse pénale, la maison d’arrêt de Lyon-Corbas avait été ouverte en mai 2009, pour remplacer les maisons d’arrêt vétustes de Perrache et de Montluc. Au total, 690 places sont disponibles pour une superficie de 45 000 m2. Mais aujourd’hui, les cellules sont surchargées, reconnait le directeur de la prison, Daniel Willemot : "Le taux de remplissage est actuellement de 133%, ce qui nous donne un peu de fil à retordre dans l’organisation", souffle le patron des lieux, salué par presque tous les détenus croisés lors de notre reportage qui n’avait pas été annoncé.
Au 1er janvier 2021, la France comptait 187 établissements pénitentiaires, avec une densité carcérale de 103 détenus pour 100 places, soit un total de 62 673 personnes placées derrière les barreaux.
C’est ainsi aux côtés du sénateur du Rhône Étienne Blanc que nous avons pu franchir les portes blindées de la maison d’arrêt la plus connue de l’agglomération lyonnaise. Depuis 2015, et le vote d’une loi par le Parlement, les parlementaires peuvent en effet se rendre quand ils le souhaitent dans tous les établissements pénitentiaires pour se rendre compte des conditions de détention. Les élus peuvent être accompagnés par un ou plusieurs journalistes titulaires de la carte d’identité professionnelle. Il s’agissait de la troisième visite dans la maison d’arrêt de Corbas pour le parlementaire qui connait bien l’univers carcéral.
Dès les premiers pas, on comprend que la réalité est très éloignée de la représentation de la détention dans les films ou l’imaginaire collectif. Dans ce lieu clos, les agents pénitentiaires sont plutôt souriants avec les détenus, eux aussi enclins à saluer les "matons" qui restent néanmoins toujours porteur d’un gilet pare-lame. Ce jour, tous évoquent la tentative d’évasion, une heure plus tôt, d’un homme qui s’était astucieusement déguisé en infirmière. Rapidement rattrapé par les surveillants, l’individu au plan pas si parfait sera au cœur des discussions de la journée dans la prison.
Une arrivée scrutée
Malgré cette actualité particulière, Daniel Willemot a pris le temps d’accompagner la visite surprise, répondant à toutes nos questions sans détour. Notre cheminement a donc débuté comme celui de n’importe quel détenu : par le quartier des arrivants, le seuil symbolique de l’espace de détention. "Il y a environ 60 arrivées et 60 départs par semaine", explique le maître des clés. Les détenus, après leur passage devant un tribunal, vont se retrouver devant un guichet pour des opérations administratives. Dans le détail, 60% des arrivées se font la nuit, l’essentiel entre le vendredi soir et le lundi matin.
Un détenu aux dreadlocks et au regard à la fois vide et inquiet, tourne comme un lion en cage à côté de nous, il vient d’arriver.
"Il s’agit du premier entretien avec la personne qui intègre la maison d’arrêt après une garde à vue et un jugement. On peut déjà s’apercevoir si c’est quelqu’un qui répond normalement, s’il a l’air mal... En gros, si son état de santé est préoccupant, notamment sur le plan psychologique", détaille Daniel Willemot. Les détenus seront ensuite fouillés, puis leurs affaires seront consignées.
Tout objet de valeur est déposé dans un coffre, le reste dans une valise récupérée à la fin de la période de détention.
Dans un bâtiment de deux étages, les prisonniers vont rester entre 7 et 21 jours en temps normal, mais depuis quelques mois le temps minimum a été augmenté à dix jours, à cause de la crise sanitaire du Covid-19. Il s’agit d’être sûr que personne ne propage l’épidémie au sein de la maison d’arrêt.
Le Covid-19 en cellule
Malgré le port du masque obligatoire, des douches séparées ou la suspension, un temps, des parloirs, le coronavirus a tout de même frappé la maison d’arrêt de Corbas. Depuis le début de l’épidémie, en mars 2020, et jusqu’à décembre 2020, "l’impact a été faible avec une mise sous cloche des prisons par des mesures sanitaires et une population plus jeune", nous précise a posteriori Stéphane Deleau, directeur inspection, justice, usagers au sein de l’Agence Régionale de Santé Auvergne-Rhône-Alpes.
Très peu de cas ont été enregistrés dans les 18 établissements de la région alors que les libérations anticipées s’enchaînaient, les activités carcérales étaient très réduites et les tribunaux au point mort.
La reprise des activités, et notamment les parloirs en mai 2020, a eu comme conséquence "une accélération, particulièrement depuis décembre 2020, et l’apparition de clusters", assure Stéphane Deleau qui a comptabilisé dix-huit clusters dans les prisons auvergnates et rhônalpines depuis un an, dont au moins trois ou quatre à Corbas. Un groupe de contaminations avait notamment été détecté dans l’établissement pénitentiaire, fin août dernier, avec près de 60 cas enregistrés parmi les détenus et les surveillants ; mais aussi un autre ce 15 décembre, cette fois avec moins de cas.
"On a beaucoup renforcé le contact tracing pour mieux cibler les cas, avec une équipe spécialisée pour les prisons. Des tests à grande échelle, parfois jusqu’à plus de 500 personnes testées sur un même site, sont aussi menés, tout comme une surveillance particulière pour les nouveaux entrants", explique le représentant de l’ARS. Aucun décès de détenu dû au Covid-19, n’aurait été enregistré depuis le début de la pandémie dans la région, "peut-être deux ou trois cas graves", seulement.
Seule ombre au tableau, la vaccination dans les prisons régionales. Des écarts faramineux séparent certains centres pénitentiaires, entre les 70% de taux de vaccination de Chambéry et les 18% pour la maison d’arrêt de Corbas. "Vous retrouvez les mêmes phénomènes que la population générale, certains sont méfiants ou volatiles, avec un refus de dernière minute, et de nombreux sont, comme beaucoup, plus Pfizer qu’AstraZeneca", diagnostique Stéphane Deleau. Des campagnes sont menées, mais sans vraiment de résultat pour le moment.
Des détenus fragiles
Mais avant le début de la pandémie mondiale qui semble toujours s’accélérer, d’autres problématiques de santé avaient été pointées du doigt, aussi bien par les associations que certains représentants politiques. Parmi eux, Étienne Blanc, auteur d’un rapport parlementaire en 2009 portant sur "la prise en charge sanitaire, psychologique et psychiatrique des personnes majeures placées sous-main de justice".
Dans ce rapport très complet, notamment grâce à des chiffres précis fournis par le ministère de l’Intérieur durant le mandat de Nicolas Sarkozy, la population carcérale connaissait "un état de sanitaire globalement dégradé". Parmi les points abordés dans le dossier de près de 150 pages, certains étaient révélateurs de la santé globale des personnes emprisonnées.
"Population surexposée au VIH et aux hépatites", avec 90 cas pour 100 000, soit dix fois plus élevée qu’en population générale, troubles psychiatriques et psychologiques qui se "manifestent de manière particulièrement importante avec un taux de pathologie vingt fois supérieur à la population générale", ou encore mauvais état bucco-dentaire... Le constat était terrifiant. En cause, d’après les recherches des parlementaires, le fait que "les détenus viennent très majoritairement de milieux sociaux défavorisés".
Une "réalité sociologique", écrivait Étienne Blanc à l’époque, qui mettait en évidence des messages de prévention moins largement diffusés que dans la population générale, mais aussi et surtout un moindre recours aux soins pour de multiples raisons comme le coût financier conséquent de l’accès aux soins. Pire encore, selon l’élu qui évoquait une aggravation des conditions de santé, une fois en détention : "Il existe des facteurs d’aggravation de cet état : alimentation déséquilibrée avec des prises répétées de produits sucrés et de sodas, ou un stress et des états dépressifs concluant la prise de psychotropes, d’où une sécheresse buccale favorisant la carie".
Plus récemment, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OFDT) a mené des enquêtes pour connaître la consommation de stupéfiants des détenus. Les chiffres obtenus estimaient la proportion de personnes consommant du cannabis en détention entre 35% et 40%. En 2013, sur les 457 prisonniers de la maison d’arrêt de Lyon-Corbas interrogés, 83,6% personnes avaient indiqué avoir utilisé au moins une drogue durant l’incarcération, alors que 57 % affirmaient consommer deux produits différents. Dans le détail, 30,4% des personnes questionnées indiquaient avoir bu de l’alcool, tandis que 10,3% auraient pris de la cocaïne ou du crack.
D’autre part, toujours selon l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, les prévalences d’infection du VIH varient, selon les sources, entre 0,6% et 2%, soit trois à quatre fois plus qu’en population générale. Un test de dépistage est proposé aux détenus lors de la visite d’entrée.
La médecine en détention
Pour soigner les détenus souffrant de troubles psy de la maison d’arrêt de Corbas, un service médico-psychologique régional (SMPR) est implanté directement dans l’enceinte de l’est lyonnais, en lien avec les unités sanitaires en milieu pénitentiaire. Des médecins, détachés d’un hôpital psychiatrique, aident les personnes souffrantes de maladies, notamment d’addiction ou de problèmes psychologiques. Au total, vingt cellules sont disponibles pour accueillir les patients. Une cour spéciale est même intégrée à l’étage pour la promenade.
Les soignants enchaînent les consultations à longueur de journée, avec des patients parfois difficiles. Lors de notre visite, deux d’entre eux seront suspectés d’avoir fumé du cannabis dans leurs cellules, malgré l’horaire matinal. De quoi alimenter les discussions entre les surveillants pénitentiaires pour savoir où a été cachée la drogue. "Ce n’est pas facile tous les jours, le corps humain a six trous et donc autant de planques possibles", assure un surveillant.
Une situation surprenante pour certains, mais qui est expliquée par un gardien de la prison : "La situation est la même ici que dehors. De plus en plus, vous voyez des individus rouler et fumer des joints à n’importe quelle heure en pleine rue, même sur la place Bellecour. Alors, pourquoi ne pas le faire en prison ? C’est un peu l’histoire du gamin qui essaye de contourner les règles des parents", déplore-t-il, avant de partir à la recherche du bout de shit ou d’herbe.
Des projections chaque jour
La drogue, et en particulier le cannabis, arrive dans les cellules grâce aux parloirs, ainsi qu’aux projections réalisées depuis l’extérieur de l’enceinte. Selon un agent pénitentiaire, "au moins dix opérations sont menées chaque semaine par des individus rodés qui n’ont qu’à lancer fort, ou utiliser une catapulte, pour envoyer des colis aux prisonniers". Des drogues variées sont ainsi livrées, mais aussi de l’alcool, des téléphones portables ou encore des denrées alimentaires, comme de la viande.
Ce midi, pas de grillades derrière les barreaux, mais de l’omelette, des frites et du céleri. "C’est très bon", souffle un détenu en prenant le plateau servi par un collègue prisonnier, habillé d’une couleur différente pour différencier ceux qui travaillent des autres. Les projections les plus improbables restent, à Corbas, une piscine gonflable ou une Playstation projetées au-dessus des grilles. La console de jeux sera interceptée avant qu’une personne ne puisse jouer avec. Toutes les saisies sont entreposées avant d’être détruites.
À la maison d’arrêt de Corbas, Étienne Blanc tombera sur une photo aérienne du site, accrochée au mur de l’étage de l’administration. Le sénateur relèvera la proximité flagrante des grillages extérieurs avec les murs de l’enceinte, d’où sa réflexion : "Pourquoi ne pas faire comme aux États-Unis, avec un très large périmètre interdit d’accès pour éviter encore plus les projections?". Une solution qui pourrait être mise en place un jour, d’après les syndicats d’agents pénitentiaires.
Reste que selon les données apportées dans le rapport de 2021 de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, "la variabilité des réponses apportées par l’administration pénitentiaire" est décrite. "Les entretiens mettent en évidence une attitude de "laisser-faire" et de sélection des actes sanctionnés, permettant aux agents de "négocier la paix" avec certains détenus. Des ambivalences d’une institution tiraillée entre des injonctions sécuritaires, allant dans le sens d’un contrôle renforcé des actes liés à la drogue, et la nécessité de faire régner un ordre", détaillait ainsi l’OFDT.
Un important taux de suicide
Dans un dossier évoquant la santé dans les prisons, impossible de passer à côté d’un autre sujet qui revient régulièrement dans l’actualité : le suicide de détenus. Un sujet sensible sur lequel Daniel Willemot assure apporter "une lutte de tous les instants". Et pour cause, en 2018, la revue trimestrielle du Haut Conseil de la santé publique affirmait qu’en France, le taux de suicide en population carcérale était sept fois supérieur à celui observé en population générale. La mortalité par suicide était passée de deux pour 10 000 détenus en 1950, à vingt-cinq dans les années 2000, avant de baisser un peu dès 2012.
En 2021, trois suicides de détenus de Corbas ont été enregistrés, l’un au centre hospitalier du Vinatier, un autre au service médico-psychologique régional et le dernier, dans le bâtiment de la prison de Corbas. L’homme avait réussi à se pendre. "Il ne parlait pas français, ce qui complexifie le repérage", soupire le directeur des lieux pour qui "il est effectivement possible de comptabiliser les suicides", mais qu’en même temps, il est "impossible de compter le nombre de personne sauvées grâce aux mots ou aux paroles des surveillants, le soir avant de fermer la porte".
Pour éviter ces drames, des cellules spéciales ont notamment été installées dans l’établissement pénitentiaire, comme dans les autres prisons du pays. Aucun point d’accroche, des matelas ou couvertures anti-feu et facilement déchirables équipent notamment ces espaces nommés "cellules de protection d’urgence" où même les télévisions sont installées derrière une vitre.
Des équipements dernier cri qui tranchent avec ceux des anciennes prisons lyonnaises de Saint-Paul et Perrache, dont une maquette est présente à la sortie de la maison d’arrêt de Corbas. De quoi faire remonter de mauvais souvenirs au personnel qui a connu cette époque et qui, aujourd’hui, n’a plus à travailler au milieu des rats.
Mais, ces derniers voient aujourd’hui avec pessimisme l’arrivée de la cinquième vague de Covid-19 et toutes les contraintes qu’elle implique pour les conditions de vie derrière les barreaux.
Mise à jour ce 6 février : une crainte justifiée puisque un nouveau cluster bouleverse le quotidien de Lyon-Corbas actuellement.
J.D.