L'étudiant : "On voulait un changement radical..."

En 68, Pierre Masson était un des leaders de l’Association générale des étudiants lyonnais, la fameuse AGEL qui a piloté le mouvement étudiant dans l’agglomération. De la première réunion du 5 mai qui s’est déroulée à la Doua, aux derniers affrontements de juin à la fac de droit, il a vécu au coeur de ce printemps révolutionnaire.

Quelle était l’ambiance à Lyon juste avant mai 68 ?
Pierre Masson : C’était la période de Pradel. l’architecte Delfantes bétonnait l’agglomération. Mais Lyon était encore très province, assez triste, très coincée... la rue Mercière était la rue à putes, un véritable bordel en plein centre. La rue République n’était pas encore piétonne, Saint Jean était un quartier pourri ... Et il n’y avait ni métro,ni tunnel de Fourvière, ni quartier de la Part-Dieu. C’était aussi la crise du logement le début des grands ensembles et des banlieues . Les gens se retrouvaient en périphérie de Lyon dans des zones nouvelles...
Les Lyonnais vivaient un peu sur eux-mêmes ?
L’autoroute Lyon-Paris n’était pas terminée. Elle s’arrêtait à Avallon . Il fallait près de cinq heures pour y aller en train, plus de six heures en voiturre...
Quels étaient les leaders politiques à Lyon ?
C’était encore la génération issue de la Résistance, celle des députés gaullistes comme Guillermin, Caille... Mais à Lyon, la mairie n’était pas gaulliste. C’était Pradel et son fameux apolitisme. Mais personne n’était dupe. Il y avait aussi à droite toute une classe politique proche de l’Algérie française qui était très influente à la mairie avec des personnages comme Fenech, Béraudier, Soustelle... Et bien-sûr, tous ces gens-là étaient très hostiles aux mouvements de mai 1968.
Et la presse lyonnaise ?
Il y avait trois quotidiens : le Progrès, Dernière heure lyonnaise qui appartenait au Dauphiné Libéré et l’Echo Liberté, le journal de la droite traditionnelle. Mais, pour nous, c’était tous pourris. Ils soutenaient le pouvoir et ils étaient ouvertement hostiles au mouvement étudiant.
Un exemple concret ?
Le Progrès refusait de nous donner la parole. Début mai, on a négocié pendant des semaines avec la direction, mais on sentait bien qu’ils se moquaient de nous . Du coup on est allés à Chassieu et on a arrêté les rotatives. Contre l’avis des ouvriers CGT ! Et le Progrès a cessé de paraître pendant 15 jours.
Et à la télé ?
A l’époque, tout le monde n’avait pas encore la télé comme aujourd’hui. Mais déjà on défilait dans les rues en criant “Fermez la télé et ouvrez les yeux” . Nous les étudiants, on écoutait plutôt des radio comme Europe 1 ou RTL où les journalistes étaient un peu libres.
Il y avait une vraie vie culturelle à Lyon ?
Honnêtement, je n’étais pas très branché culture. Je militais beaucoup, je n’avais pas le temps. A l’époque, on allait surtout au cinéma. D’un côté il y avait quelques salles d’avant-garde et de l’autre des salles paroisiennes qui diffusaient des films bien sages pour les familles. A Lyon, en dehors de l’Opéra et des Célestins qui étaient le rendez-vous des bourgeois lyonnais, il y avait quand même la machine Planchon et le théâtre des Marronniers avec Maréchal où ça remuait un peu.
Un grand concert qui a marqué cette époque ?
Le concert des Pink Floyd en 1967 au Palais des Sports où pas mal de jeunes Lyonnais ont découvert la fumette. C’était aussi l’époque où des étudiants lâchaient leurs études pour monter des petits groupes.
Les moeurs commençaient à évoluer ?
Ca commençait à se libérer. Pas mal d’étudiants exigeaient la mixité dans les résidences universitaires. Et en mai 1968, les gens se sont vraiment libérés. Sur le campus, il y avait une ambiance de fête. Et beaucoup de couples se sont formés à l’époque. A Lyon, les filles commençaient à porter le pantalon. C’était un premier signe de révolte contre les parents.
Un endroit à la mode ?
La Brasserie Georges. Tous les étudiants se retrouvaient là-bas, c’était grand, pas trop loin des facs et pas cher.
Quel âge aviez-vous en 1968 ?
J’avais 23 ans. Je finissais des études de scciences économiques et de science politiques, je militais depuis plus de cinq ans. J’étais au PSU et membre du bureau de l’AGEL, l’Association générale des étudiants lyonnais.
Comment le mouvement a débuté à Lyon ?
Par une réunion. C’était le 5 mai. Quelques jours seulement après le début de l’agitation à Paris. Le noyau dur de l’AGEL s’est retrouvé à la Doua. On a décidé de se mobiliser pour soutenir nos camarades parisiens et coordonner les actions à Lyon.
Qui participait à cette première réunion ?
Des Etudiants de tendances très différentes. Des gens du PSU et de l’UNEF comme moi, des chrétiens de la JEC, comme Jean-Marie Keunenbroc, des maoïstes comme Alain Charnomordic...
Quels étaient vos objectifs ?
On se battait pour améliorer la vie et les conditions de travail des étudiants.
C’était le prétexte !
Non, il faut quand même se remettre dans le contexte de l’époque. A Lyon, le nombre d’étudiants est passé de 25 000 en 1962 à 60 000 en 1968 ! Résultat : il n’y avait pas de place pour tout le monde. Dans les facultés du quai Claude Bernard, on suivait les cours dans les escaliers. Le campus de la Doua venait d’ouvrir, mais ce n’était qu’un immense terrain boueux !
Mais vous aviez quand même un objectif politique ?
On ne savait pas vraiment où allait nous entraîner ce mouvement. On voulait casser toutes les barrières, balayer les notables, les caciques... On voulait aussi changer la société en profondeur : libérer la parole, les moeurs, les énergies... On voulait que le pouvoir soit partagé ... C’était le grand rêve de l’autogestion.
La gauche ne vous tentait pas ?
On ne voulait pas entende parler de cette gauche pourrie de la IVème République. On voulait un changement radical de la société !
La société était vraiment bloquée ?
Oui, personne n’écoutait les jeunes. Ni les hommes politiques, ni la hiérarchie catholique, ni les médias... Dans les facs, les profs étaient de véritables mandarins qui n’acceptaient pas la moindre discussion. A Lyon, en droit, les profs donnaient encore leurs cours en toge e

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