Le recteur : "Les soixante-huitards étaient naïfs"

Recteur de l’académie lyonnais en mai 68, Pierre louis avoue avoir été supris par l’ampleur des événements. Et il juge, aujourd’hui encore, avec une certaine sévérité les étudiants de l’époque.

Quelle était l’ambiance dans les facultés lyonnaises juste avant 68 ?
Pierre Louis : Les étudiants manquaient de place. C’était ça le seul vrai problème.
Mais les soixante-huitards dénonçaient aussi l’absence totale de dialogue !
Je ne suis pas du tout d’accord. C’est vrai qu’il y avait quelques mandarins, mais tous les professeurs ne se comportaient pas comme ça. D’ailleurs, il y avait même de jeunes maîtres-assistants tellement proches des étudiants qu’ils les ont suivis sur les barricades !
Vous connaissiez bien les facs lyonnaises ?
Oui j’étais recteur depuis 8 ans et je connaissais bien Lyon car c’est là que j’avais débuté ma carrière en 1946 comme professeur de grec.
Et vous n’avez rien vu venir ?
Vraiment pas car il n’y avait eu aucune tension particulière cette année-là. Les étudiants lyonnais se sont un peu énervés fin mars après les événements de Nanterre, mais le mois d’avril avait été calme.
Comment avez-vous compris que le mouvement démarrait à Lyon ?
Un jour ma femme revenait de faire des courses quand elle a vu un attroupement devant la fac de droit, rue CAvenne, juste à côté du rectorat. C’était début mai. elle m’a tout de suite prévenu.
Votre réaction ?
Je suis immédiatement allé voir ce qui se passait. Les étudiants m’ont dit qu’ils voulaient obteni la libération de leurs camarades parisiens. Au cours des jours suivants, les manifestations ont continué mais c’était difficile de savoir pourquoi. Les leaders étaient incapables de d’exprimer des revendications précises.
Quel a été le détonateur de ces événements ?
La séparation filles-garçons dans les cités universitaires. Tout est parti de là ! A l’époque les étudiants et surtout les étudiantes exigeaient la mixité. Ils pensaient qu’on refusait cette mixité pour des raisons morales. Mais ils n’ont jamais compris qu’on était obligés de maintenir cette séparation car la majorité était à l’époque à 21 ans. Nous étions donc responsables de ce qui pouvait arriver aux étudiants mineures... Ça a commencé comme ça. Cette affaire me semblait insignifiantes, mais à ma grande surpris le mouvement a pris beaucoup d’ampleur.
Une des premières décisions que vous avez prises ?
J’ai demandé aux pompiers d’évacuer un dépôt d’explosifs entreposés dans les locaux de la fac de lettres, quai Claude Bernard. Ces explosifs étaients destinés aux chimistes de la fac de sciences qui n’avait pas fini son déménagement à la Doua. Il y avait de quoi faire sauter tout le quartier.
Quel a été votre rôle pendant ce mois de mai ?
Mon seul souci a été alors d’éviter des affrontements sanglants. C’est pour ça que j’ai toujours essayé de garder le contact avec les leaders de l’AGEL-UNEF. Mais ce n’était pas facile car ils changeaient tout le temps. A Lyon, il n’y avait pas vraiment de chef d’orchestre.
Vous restiez enfermé dans votre bureau ?
Au contraire, j’allais souvent sur le terrain. un soir, je me suis retrouvé avec le président de l’UNEF, sur les quais du Rhône, devant les facs. Pendant plusieurs heures, on a harangué des étudiants de gauche et de droite qui voulaient se battre. Et on a réussi à les calmer.
Votre première préoccupation ?
Eviter que les forces de l’ordre entrent dans les universités.
Pourtant, la police a évacué les facs en juin !
Ça, c’est une décision prise par le doyen Nerson. et d’ailleurs, il a eu raison. Il fallait que la police intervienne car les étudiants avaient dépassé les bornes à la fac de droit. D’ailleurs, ce n’était même plus des étudiants mais des repris de justice. Ils avaient tout cassé, tout démoli, tout pillé...
Vous étiez très hostile à ce mouvement ?
Non? Au départ, j’avais une certaine sympathie pour les étudiants qui manifestaient. Mais c’était une époque vraiment paradoxale. Ça disuctait à tous les coins de rue mais on ne savait pas toujours de quoi on parlait !
Comment jugez-vous aujourd’hui ces étudiants ?
La majorité des étudiants étaient des naïfs, certains pensaient vraiment que c’était une révolution et que le grand soir était arrivé.
Ils étaient manipulés ?
Je crois que des anars parisiens sont descendus à Lyon pour pousser les étudiants à la violence. Mais ça n’a pas marché.
Et les professeurs ?
Certains ont joué un rôle très négatif en jetant de l’huile sur le feu. Ils pensaient sans doute que le grand soir était arrivé. Mais eux n’avaient pas l’excuse de la naïveté.
Vous n’avez jamais pensé que le pouvoir pouvait basculer ?
Non car la population lyonnaise s’est toujours tenue à l’écart de tout ça.
Vous restiez en liaison avec votre ministère ?
Pendant tous ces événements, on a été complètement lâchés par le ministre de l’Education de l’époque, Alain Peyrefitte. Il nous a laissés littéralement tomber. on n’avait plus aucune directive. Il fallait se débrouiller tout seul. Le seul coup de téléphone que j’ai reçu pendant cette période a été celui de Pompidou en personne qui m’a appelé après la mort du commissaire Lacroix. Il voulait savoir quelle était la situation à Lyon, savoir si je tenais le coup, si j’avais besoin de quelquechose...
Vous étiez protégé par la police ?
Pas du tout. Je me promenais librement, je discutais avec les étudiants. Vous savez qui m’a proposé de me protéger ? La CGT. Ce syndicat était en fait très hostile au mouvement qu’ils ne prenaient pas au sérieux. Ce qui, au fond, explique l’échec de 68.
Vous n’avez jamais eu peur ?
Ma plus grosse frayeur, je l’ai eu en janvier 69. Un jour, j’ai reçu un mystérieux coup de fil m’avertissant qu’une assistante de la fac de lettres venait d’être kidnappéepar des étudiants. Je suis allé immédiatement sur place et je suis tombé dans un véritable guet-apens dans un amphi. Des étudiants parisi

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