Anorexie : Une première en France à Lyon

La clinique Saint Vincent de Paul qui accueille des jeunes filles anorexiques vient d’ouvrir un accueil de nuit, avec une dizaine de places. Explications du Dr Edouard Carrier.

Pourquoi vous ouvrez cet accueil de nuit ?
Edouard Carrier : C’est un projet auquel je pense depuis une quinzaine d’années. Mais à l’époque pour l’anorexie, il n’y a avait pas d’alternative à l’hospitalisation complète. Du coup, je n’avais aucune chance d’obtenir les autorisations. Mais il y a deux ans, j’ai tenté ma chance. J’ai décidé d’ouvrir cette structure avec 10 places pour les jeunes filles qui travaillent ou qui sont scolarisées. L’idée étant de permettre une transition en douceur vers la sortie, après une hospitalisation. Ce qui constitue une première en France.
Pourquoi cette transition en douceur ?
Parce que pour certaines patientes, le retour à la maison est une véritable épreuve. Les relations avec les parents peuvent être compliquées avec des problèmes de communication. Les jeunes filles ont une forte demande affective alors que certains parents ne veulent plus entendre parler de leur maladie qu’ils jugent réglée après leur l’hospitalisation. Du coup, avec cet accueil de nuit, les jeunes filles vont travailler la journée puis rentrer le soir pour bénéficier d’un soutien psychologique, de réunions de groupe...
Les caractéristiques de cette maladie ?
C’est une pathologie qui touche essentiellement des jeunes filles qui refusent de s’alimenter. Et elles peuvent se mettre en danger de mort car elles ne se voient pas comme elles sont réellement. En fait, elles refusent de devenir adulte et que leur corps change. Cette maladie se caractérise aussi par une immaturité ou une dépendance affective vis à vis des autres notamment de leurs proches. De plus, ces jeunes filles cherchent à être exemplaires. Elles veulent tout contrôler dans leur vie.
Les premiers signes de cette maladie ?
On constate souvent que les jeunes filles anorexiques ont été parfaites entre 6 et 11 ans. Première de leur classe, sages, elles voulaient être aimées de tous, ne disaient jamais non, voulaient toujours aider leur mère, ne faisaient jamais de bêtises... Bref, c’étaient des filles rêvées. Bien sûr, ça ne veut pas dire pour autant que toutes les filles très sages vont devenir anorexiques mais c’est quand même un clignotant orange qui s’allume.
A partir de quand il faut s’inquiéter ?
Il faut d’abord savoir que la plupart des anorexies se déclarent entre 16 et 20 ans. C’est l’époque du bac, des premiers petits copains, de l’entrée en fac... C’est-à-dire une époque charnière qui mène à l’âge adulte. Une perspective que refusent les anorexiques. Les parents doivent alors se poser certaines questions : Quelles sont les relations affectives de l’adolescente avec les autres ? S’émancipe-t-elle de sa famille, parfois avec des clashs ? Ou est-ce encore un gros bébé ? Perd-elle du poids alors qu’elle se situe dans la norme ? A-t-elle toujours ses règles ?
Mais c’est souvent la relation avec la mère qui est en cause ?
Nous, on passe notre temps à déculpabiliser les mères. C’est vrai que certaines d’entre elles sont trop fusionnelles et trop protectrices. Mais on a aussi des parents très classiques dont les filles sont touchées par cette maladie. En revanche, cette pathologie survient davantage dans les milieux favorisés où les exigences de réussite peuvent être plus fortes et où on tolère moins les dérapages.
Pourquoi ne pas obliger une adolescente à manger ?
Le problème, c’est que le trouble alimentaire n’est que le signe d’un mal plus profond. Et ce n’est pas en forçant une jeune fille à manger qu’on le guérira. L’anorexie est une maladie grave qui exige un suivi de 5 à 8 ans en moyenne. Avec une période d’hospitalisation assez longue que certaines études estiment entre 1 à 4 ans.
Pourquoi cette hospitalisation est nécessaire ?
Nous, on propose des hospitalisations de quatre mois pendant lesquels les jeunes filles sont isolées de leur famille. Ce que ne comprennent pas toujours les parents. Mais l’idée c’est d’instaurer un rapport de confiance avec l’équipe médicale qui est très présente pour faire tomber les défenses de la patiente et l’encourager à parler. Car ces jeunes malades affirment souvent que tout va bien alors que leur corps dit le contraire. L’objectif est alors de restaurer un rythme de vie normal, de les aider à prendre du recul car elles sont souvent obsédées par leur réussite, mais aussi d’avoir des activités ludiques. Car ces jeunes filles se sentent coupables d’être heureuses et d’avoir du plaisir. Mais la patiente doit bien sûr être volontaire à l’hospitalisation.
Et après cette hospitalisation ?
Il reste 90 % du traitement. C’est le suivi sur le long terme. Avec deux actions concomitantes : une psychothérapie extérieure et un suivi clinique avec une consultation, tous les deux ou trois mois, juste pour faire un point. Ce qui permet de réagir rapidement et d’hospitaliser en urgence si nécessaire. Ce qui ne constitue alors pas une rechute, ni un échec. Mais un moyen de renforcer la thérapie. Car si on laisse dégénérer la situation, on se retrouve avec des patientes, deux ans après, qui doivent de nouveau être hospitalisées parfois pour un voire deux ans.
Le taux de mortalité de cette maladie ?
On admet qu’il se situe autour de 5 à 8 %. Mais la mortalité augmente. C’est pour ça que je suis favorable aux lois qui viennent d’être adoptées en avril sur l’incitation à l’anorexie qui permettent de condamner les sites Internet. Je suis également favorable aux réglementations espagnoles sur le poids minimum des mannequins qui défilent sur les podiums... Car ces femmes restent des exemples que les jeunes filles veulent suivre.

Propos recueillis par Maud Guillot

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