Honoraires : le grand dérapage lyonnais

Honoraires : le grand dérapage lyonnais

Selon une étude réalisée par l’Inspection générale des affaires sociales, Lyon est le champion des dépassements d’honoraires. Notamment ceux des chirurgiens et des anesthésistes.

1 500 euros pour une opération des vertèbres, 500 euros pour un ménisque du genou, 800 euros pour un oignon au pied... Les dépassements d’honoraires pratiqués par les médecins de certaines cliniques lyonnaises sont de plus en plus excessifs. Des surcoûts qui sont rarement pris en charge par les assurances complémentaires ou les mutuelles.
“Pour une opération des ligaments, on m’a demandé 450 euros pour le chirurgien et 80 euros pour l’anesthésiste. Si on ajoute les consultations, j’en ai eu pour 800 euros de ma poche...” raconte une jeune employée de banque. “Les sommes à la charge du patient sont de plus en plus importantes et parfois injustifiées”, confirme Bernadette Devictor, présidente du CISSRA, une association de défense des usagers.

Comment expliquer de tels dérapages ?
En fait, tout le problème c’est qu’il y a deux types de médecins. Ceux qui exercent en secteur 1 et ceux du secteur 2.
En secteur 1, ils doivent respecter les tarifs fixés par la Sécurité sociale : 22 euros pour une consultation chez un médecin généraliste, 23 euros pour un spécialiste comme un ophtalmologue ou un gynécologue... Dans ce cas, le patient est alors intégralement remboursé sous réserve qu’il cotise à une mutuelle ou à une assurance complémentaire. Ce qui est le cas de plus de 95 % des Lyonnais. Quant au médecin, il voit en échange les deux tiers de ses cotisations sociales prises en charge par la caisse primaire d’assurance maladie. Soit plusieurs dizaines de milliers d’euros par an.
Dans le secteur 2, mis en place par Raymond Barre à la fin des années 1970, les honoraires sont libres. En clair, le médecin fixe lui-même ses tarifs. Mais aujourd’hui seuls les médecins qui ont un certain niveau, c’est-à-dire qui ont été chefs de clinique à l’hôpital, peuvent opter pour ce secteur plus rémunérateur. Problème, pendant quelques années, il n’y avait pas de conditions. Du coup, la plupart des médecins choisissaient cette option. De plus, les jeunes médecins sont de plus en plus nombreux à obtenir ce clinicat qui leur permet de s’installer ensuite en secteur 2.
Résultat, aujourd’hui plus de 64 % des 1 890 spécialistes lyonnais pratiquent des honoraires libres. Alors qu’ils ne sont que 40 % au niveau national. Et dans certaines spécialités, les taux peuvent même atteindre des niveaux bien supérieurs. Exemple : 81 % des gynécologues sont en secteur 2, 84 % des ORL, 81 % des gastro-entérologues... Résultat, les patients n’ont plus vraiment le choix. Ils doivent forcément consulter chez des médecins qui pratiquent des dépassements d’honoraires.

Un record lyonnais
Mais le vrai problème, c’est l’augmentation constante de ces honoraires depuis 20 ans. Selon une étude publiée par l’Igas, l’Inspection générale des affaires sociales, en 2007, la seule sur ce sujet, l’écart entre le tarif remboursé et le tarif pratiqué par les médecins a plus que doublé. Aujourd’hui, difficile de trouver un spécialiste lyonnais à moins de 50 euros. Et selon notre enquête, ce sont les chirurgiens qui coûtent le plus cher. Compter au minimum 65 euros la consultation. Avec des records à plus de 100 euros. Alors que les pédiatres et les pneumologues sont les plus raisonnables. Avec des tarifs qui tournent autour de 40 euros.

En fait les vrais dérapages ne concernent pas les consultations, mais les interventions chirurgicales. D’ailleurs Lyon décroche la palme pour les dépassements pratiqués par les chirurgiens et les anesthésistes : 139 800 euros par anesthésiste en 2005, ce qui représente 40 % du total de leurs honoraires, 113 640 euros pour un chirurgien lyonnais, soit 52 % de leurs honoraires. Alors que les moyennes nationales sont respectivement de 71 600 euros et 53 700 euros.

Mais le plus étonnant, c’est que ce sont les médecins hospitaliers qui pratiquent les dépassements les plus importants. C’est-à-dire des médecins salariés de la fonction publique. Car depuis 1959, ils bénéficient d’un privilège : pratiquer une activité libérale au sein même de l’hôpital pour éviter leur fuite vers le privé. Avec parfois des lits qui leur sont réservés. Une activité qui normalement doit rester limitée à 20 % de leur activité. Mais qui est parfois bien plus importante, ce qui permet aux médecins de doubler voire tripler leurs revenus. “On contrôle assez rarement ces médecins. Résultat, il y a un certain nombre d’abus”, avoue un cadre des HCL. D’autant plus que ces patrons réputés utilisent quelquefois une technique étrange : quand le patient appelle l’hôpital, on lui explique que les délais seront moins longs pour obtenir un rendez-vous en consultation privée car l’hôpital est saturé...

Autre dérapage : les dessous-de-table. Une enquête Ipsos commandée par le Collectif interassociatif sur la santé a révélé que 8 % des Français avaient déjà été confrontés à un médecin qui exige de l’argent liquide. Et certains médecins demandent même des suppléments d’honoraires aux bénéficiaires de la CMU, la couverture maladie universelle, ce qui est illégal.
Au total, ces dépassements représentent plus de 53 millions d’euros par an dans le département. Soit près de 13 % du montant des dépassements en France. Ce qui place Lyon juste derrière Paris. Un dérapage d’autant plus sensible pour le budget des familles que plus de deux tiers de ces dépassements sont pris en charge par les patients, selon une enquête de la Drees, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques publiée en mai 2007. Et parfois, on exige d’eux ces sommes importantes sans information préalable. Ce qui a poussé le ministre de la Santé à intervenir fermement en novembre dernier devant l’Assemblée nationale pour évoquer “un véritable problème d’accès aux soins”. Alors que le CISSRA, le collectif d’usagers de la santé, s’est emparé de ce problème pour réclamer une simplification des tarifs. Une enquête réalisée en mars 2008 confirmait d’ailleurs qu’une majorité de Lyonnais est incapable de s’y retrouver au milieu de cette jungle tarifaire. Ce qui encourage bien sûr les abus.

Maud Guillot

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