Thierry Ehrmann, le pdg d'Artprice.com, analyse le marché de l'art

Thierry Ehrmann, le pdg d'Artprice.com, analyse le marché de l'art

Thierry Ehrmann est surtout connu pour sa Demeure du Chaos. Mais il est avant tout le leader mondial de l’information sur le marché de l’art avec Artprice.com. Interview sur la crise qui frappe ce secteur.

La crise touche aussi le marché de l’art ?
Thierry Ehrmann : Oui, les corrections à la baisse sont violentes. Et très rapides. Le marché de l’art réagit aujourd’hui presque aussi rapidement que les marchés financiers. Artprice a d’ailleurs mis en place un indice de confiance de ses abonnés, l’AMCI. Et on constate que lors d’un krach du Nasdaq ou du Dow Jones, l’AMCI s’écroule aussi quelques heures plus tard.
L’importance des baisses ?
En gros, il n’y a pas grand-chose à craindre sur les œuvres de moins de 15 000 euros. Car on est dans de l’achat affectif. Par contre, entre 15 et 50 000 euros, les baisses vont être terribles, de -40 à -50 %. Pour les œuvres entre 50 et 100 000 euros, ça va baisser d’environ 30 %. Le marché dégueule, mais il dégueule bien en corrigeant les excès passés. En revanche, au-dessus de 100 000 euros, ça va très peu bouger. Car les œuvres de ce niveau sont bardées de diplômes, de signatures et de certificats. Ces grosses pièces resteront bien cotées. Mais elles ne représentent que 0,1 % du marché.
Mais les golden-boys, qui achetaient beaucoup, n’ont plus d’argent !
Oui, c’est vrai qu’ils ont besoin de liquidités. Du coup ils vendent. Mais ils trouvent des acheteurs. Au fond, aujourd’hui mieux vaut vendre du Warhol que du Peugeot. Surtout que le marché s’est élargi. Lors de la dernière crise du marché, en 1990, il y avait 500 000 grands collectionneurs dans le monde. Alors qu’aujourd’hui il y a 50 millions de consommateurs d’art. La sociologie de ce marché a complètement changé. Côté acheteur, il n’est plus réservé aux mecs de 50-60 ans. On peut démarrer une collection à 25 ans avec 15 000 euros. De l’autre côté, le mythe de l’artiste maudit et fauché est mort. Aujourd’hui l’artiste est malin. Quand il sort de l’Ecole des beaux-arts, il maîtrise le marketing, il sait ce qu’il faut produire, où, quand, et comment.
C’est le fric qui les intéresse ?
Oui, les artistes aiment le fric. D’ailleurs c’est la première fois dans l’histoire que les contemporains vivants, comme Jeff Koons, s’achètent plus cher que des modernes morts comme Warhol. Mais derrière Koons, il y a une véritable organisation, avec des agents chargés de surveiller les cours partout sur la planète. Comme pour la Bourse.
Une toile est aujourd’hui au même niveau qu’une action du CAC 40 ?
Tout à fait. Au fond, le marché de l’art c’est le marché financier mais en dix fois plus cruel et en dix fois plus intelligent. En fait, une toile est devenue un produit monnayable. D’ailleurs, il y a quelques années, on ne pouvait pas revendre une œuvre moins de cinq ans après l’avoir achetée, car ça paraissait suspect comme si l’œuvre était un faux. Alors qu’aujourd’hui on peut acheter et revendre une œuvre à quelques semaines d’intervalle, tout le monde s’en fout.
C’est de la spéculation ?
Oui. Mais par contre il n’y a pas eu de bulle spéculative. Au cours des ventes, on a toujours enregistré un taux d’invendu de 31-32 %. S’il y avait eu de la spéculation à mort, on en aurait eu que 7 ou 8 %. Les gens auraient acheté comme des gorets, à tout prix. Ça montre aussi que les maisons de vente effectuaient un tri sévère en amont et ne proposaient à la vente que des œuvres de qualité.
Les acheteurs ont aussi plus d’informations sur les œuvres !
Oui, aujourd’hui tout le monde dispose d’informations sur les œuvres et les artistes. L’année dernière, Artprice a par exemple répondu à 12 milliards de requêtes de ses clients. Du coup, quand n’importe quel péquin entre dans une galerie, il sait déjà ce que vaut l’artiste, s’il est capable de vendre à l’étranger, le nombre de ses œuvres en circulation...
Ces galeries sont aujourd’hui menacées ?
Oui, un certain nombre vont fermer. Car les banques ont décidé de les lâcher. Aujourd’hui, une galerie qui n’a pas de fonds propres et de stock est une galerie à l’agonie. De nombreuses maisons de ventes vont également fermer, car elles n’ont pas su se préparer à l’internet et à la vente en ligne.
D’autres menaces sur le marché de l’art contemporain ?
La grande incertitude, c’est la Chine. Aujourd’hui, dans le top 500 des artistes mondiaux, plus de 50 % sont chinois. Est-ce que la Chine va avoir un réflexe nationaliste et continuer à soutenir ses artistes ? Ou est-ce qu’elle va les lâcher ? Selon la réponse à cette question, on saura si le marché de l’art va être un bain de sang ou pas.
Cette crise va durer ?
Il avait fallu attendre 1997 pour que le marché américain retrouve ses niveaux de prix d’avant la crise de 1990. En France, ce n’est même qu’en 2007 qu’on avait retrouvé les niveaux de 1990... Mais aujourd’hui tout va plus vite. Le public est aussi aujourd’hui beaucoup plus réceptif à l’art contemporain qu’il y a 20 ou 30 ans. Et surtout, dans les cinq prochaines années, on va construire plus de musées d’art contemporain que pendant tout le XXe siècle. Avec 360 nouveaux musées qui disposeront de budgets importants, de 200 à 800 millions d’euros, comme il faudra remplir ces musées, le marché de l’art contemporain va forcément repartir.

Propos recueillis par Laurent Sévenier
l.sevenier@lyonmag.co
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