Dardilly : une bombe aux portes de Lyon

Dardilly : une bombe aux portes de Lyon

250 000 tonnes de déchets toxiques ont été stockés dans la décharge du Bouquis près de Dardilly. La propriétaire du site, Simone Pitance-Guillard, vient de porter plainte contre Elf qui est à l’origine de cette pollution.

Pourquoi vous portez plainte aujourd’hui ?
Simone Pitance-Guillard : Parce que l’ADEM, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, nous réclame 500 000 euros pour dépolluer le site mais aussi 70 000 euros par an pour l’entretenir. Alors que ce n’est pas nous qui avons entreposé des déchets polluants et dangereux, mais Elf et Motul, deux grands groupes pétroliers, à qui on avait loué ce terrain.
Mais ça fait plus de 30 ans que ce site est pollué !
C’est vrai que c’est en 1976 que les problèmes ont commencé, soit seulement un an après qu’ABL, l’entreprise que je dirige, a décidé de louer ce site situé à Dardillly et qui était en fait une ancienne briqueterie.
A qui vous avez loué ce site ?
A la société Elipol, dont le groupe ELF est actionnaire à 100%, et qui a obtenu l’autorisation préfectorale d’implanter une décharge. Et elle a chargé la société Sopaluna, filiale du pétrolier Motul, d’exploiter le site. Mais malgré un cahier des charges très précis, qui stipulait clairement que le site ne devait pas accueillir plus de 40% de déchets industriels, des dizaines de plaintes ont été adressées au maire de Dardilly, André Vialle, un an seulement après l’ouverture de la décharge. Car les riverains se plaignaient des odeurs nauséabondes de cette décharge qui est d’ailleurs située en plein cœur du village, près de l’église, du boulodrome et des lotissements.
Comment on s’est aperçu que ces produits étaient polluants ?
André Vialle a décidé de réagir immédiatement en envoyant les gendarmes sur le site du Bouquis. Et c’est là qu’ils ont remarqué que des camions déversaient des produits polluants et toxiques la nuit. Je pense même qu’Elf faisait venir des camions d’Allemagne de l’Est pour décharger les déchets au Bouquis, car bizarrement c’est à la même période qu’ils ont acheté une raffinerie en Allemagne. Du coup, le maire a demandé à ce que des laboratoires réalisent des prélèvements et ils ont noté la présence de chlore, de plomb, de méthanol et même de cyanure. Mais ce qui est aberrant, c’est que la préfecture n’a pas décidé d’arrêter l’exploitation de la décharge avant 1980, soit quatre ans plus tard.
Et personne n’a réagi ?
La municipalité de Dardilly et la préfecture devaient cicatriser le site en compactant le terrain, installer des cheminées de dégazage... Mais en fait, ils se sont contentés de recouvrir les déchets polluants par des déchets inertes. Mais ils n’ont pas pensé qu’une source passait sous le site du Bouquis. Du coup, le Sémanet qui passe près de Lissieu a été polluée. Une rivière qui se déverse dans le Rhône. D’ailleurs, je me demande si la pollution actuelle au PCB n’a pas été provoquée par la décharge du Bouquis.
Le site continuait de polluer ?
Evidemment. Mais c’est seulement dans les années 1990 que la préfecture a décidé de faire construire une station d’épuration pour traiter ces déchets polluants. D’ailleurs on a aidé la commune à financer cette station d’épuration. Mais je pense qu’on aurait dû attaquer Elf en justice dès cette époque, car on a fait l’erreur de laisser traîner cette affaire et aujourd’hui ça nous retombe dessus. Et comme la Sopaluna, qui exploitait le site, a fait faillite trois ans plus tard, il n’y avait plus personne pour s’occuper du traitement des déchets.
Et la mairie de Dardilly ?
Le maire de l’époque, Daniel Lemaire, a essayé d’étouffer l’affaire en décidant de nous racheter la décharge du Bouquis, soi-disant pour en faire un parcours sportif ! Mais aussi parce qu’il restait des terrains constructibles. Et la mairie a pu racheter la décharge, car le service des Mines n’a pas mentionné sur l’acte notarial que le site était pollué.
Combien vous avez vendu ce terrain ?
La mairie nous a racheté les 7 hectares pour seulement 268 000 francs, soit moins de 41 000 euros. Alors que prix moyen de l’hectare est 10 fois plus élevé à Dardilly. Mais en 2006, quand l’ADEM a cherché des responsables, elle a obligé la mairie à dépolluer le site puisque c’était eux les propriétaires. Mais la maire actuelle, Michèle Vullien, qui est d’ailleurs une vrai écolo, a réussi à faire casser l’acte de vente en s’appuyant sur l’erreur commise par le service des Mines 10 ans plus tôt. Du coup, non seulement on a dû leur rembourser les 41 000 euros de la vente, mais en plus l’ADEM nous réclame 500 000 euros pour dépolluer le site.
Pourquoi vous avez accepté de vendre ?
Parce qu’on n’avait pas le choix. La mairie et la préfecture faisaient pression sur nous. En plus on sentait bien que cette affaire nous dépassait complètement. Et qu’on allait se faire piéger.
Mais reconnaissez que pendant 30 ans la location de ce terrain vous a rapporté beaucoup d’argent !
Non, ça nous a à peine rapporté 120 000 euros en plus de 30 ans. Et l’entreprise ABL que je dirige n’a pas les moyens de financer cette dépollution, car nous employons deux salariés, pour un chiffre d‘affaires de 200 000 euros par an.
C’est normal que vous payiez puisque c’est votre terrain !
Mais ce n’est pas nous qui avons pollué ce terrain avec des déchets toxiques. C’est pour ça qu’on a décidé de porter plainte contre Elf et Motul, car ce sont eux les seuls responsables.
Elf n’a jamais été inquiété pour cette affaire ?
C’est bien ça le problème, car ce sont bien eux les principaux responsables. D’autant plus que la Sopaluna et Elipol ayant fait faillite, on a cherché des responsables à Dardilly uniquement. Mais Elf et Motul sont bien les maisons mères de ces deux entreprises qui louaient et qui exploitaient ce site. D’ailleurs, le Pdg de la Sopaluna était également le Pdg de Motul. Ce sont donc ces deux groupes qui doivent dépolluer la décharge de Bouquis. Et même si cette affaire nous a déjà coûté près de 300 000 euros, on n’est pas près de laisser tomber, car on veut qu’Elf paie pour cette pollution.

Propos recueillis par Nadège Michaudet

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